Histoire Depuis 1816

L’Académie contemporaine

 

Après la chute définitive de l’Empire, il revint à Louis XVIII de conduire à son terme l’entreprise de réhabilitation académique mise en œuvre partiellement quelque dix années auparavant ; par l’ordonnance royale du 21 mars 1816, qui consacrait avec mesure le double héritage des anciennes et des nouvelles institutions, le monarque attribuait de nouveau leurs noms traditionnels aux quatre Compagnies qui demeuraient regroupées au sein de l’Institut, dont le titre était conservé ; corrélativement, il leur accordait sa protection directe et spéciale. Mis à part les indispensables retouches apportées depuis aux articles afférents à la composition et aux modalités de recrutement, la vie de l’Académie des Inscriptions est toujours régie par les sages dispositions de l’ordonnance de 1816.

 

Tracer les grandes lignes du bilan de la vie et des activités de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres aux XIXème et XXème siècles revient dans une large mesure à suivre l’histoire de l’érudition française dans les riches domaines de l’Antiquité classique, de l’Orientalisme et des études médiévales, ainsi que le développement des nouvelles disciplines afférentes à l’histoire, l’archéologie et la philologie.

Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, la Compagnie compta dans ses rangs d’étonnantes figures qui furent parmi les véritables initiateurs de nos sciences humaines contemporaines ; au nombre de ceux-ci demeurent particulièrement présents dans les mémoires le génial Jean-François Champollion, travailleur inlassable qui sut percer le secret de l’écriture hiéroglyphique, le très grand Antoine-Isaac Silvestre de Sacy, fondateur des études arabes et persanes en France, Antoine-Jean Letronne, qui posa les bases méthodologiques de l’épigraphie classique, mais aussi Augustin Thierry, auteur d’une Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands (1825) où l’étude scrupuleuse des sources le dispute à l’attention portée à la coloration littéraire du récit, ou encore l’écrivain Prosper Mérimée, inspecteur général des monuments historiques qui le premier attira l’attention sur la nécessaire sauvegarde de notre patrimoine national.

 

À une époque d’effervescence intellectuelle remarquable qui vit l’éclosion de nombre de nos institutions scientifiques à l’échelle régionale et nationale, l’Académie des Inscriptions ne resta pas à l’écart de ce mouvement de grande envergure qu’elle inspira notablement ; mentionnons qu’elle participa à la naissance de l’École des Chartes – créée par l’ordonnance royale du 21 février 1821 « pour ranimer un genre d’études indispensable à la gloire de la France » en fournissant des auxiliaires aux académiciens –, sur laquelle depuis lors elle exerce un rôle de tutelle, qu’elle ne fut pas étrangère aussi à la création, sous l’impulsion de Guizot – par un arrêté du 18 juillet 1834 – de ce qui allait devenir très vite le Comité des Travaux historiques et scientifiques.

 

En vertu d’une tradition remontant à l’Expédition d’Égypte, la Compagnie participa tout naturellement aux missions savantes de Morée (1829-1831) et d’Algérie (1830) ; par les instructions qu’elle prit l’habitude de confier aux jeunes savants et voyageurs en partance pour l’étranger, elle établit également les indispensables jalons grâce auxquels il fut possible de donner corps aux institutions françaises de recherche à l’étranger.

 

C’est l’École française d’Athènes – créée par l’ordonnance royale du 11 septembre 1846 – qui bénéficia la première de ses bons soins ; en vertu de deux arrêtés remontant à l’année 1850, l’Académie des Inscriptions s’en vit confier la direction intellectuelle ainsi que le patronage ; c’est elle qui, en la débarrassant de toute prétention littéraire, veilla à ce qu’elle se métamorphosât rapidement en un véritable centre de recherches érudites, ce qu’elle est demeurée depuis pour le plus grand profit de l’hellénisme français, mais aussi des études byzantines.

 

Dès lors la Compagnie contribua à la fondation d’un véritable réseau d’organismes de recherche propres à favoriser l’épanouissement des autres domaines traditionnellement de son ressort tout en restant attentive au fil des ans à leur essor (École française de Rome, École française d’Extrême-Orient, École biblique et archéologique de Jérusalem et Casa de Velázquez, fondées respectivement en 1875, 1901, 1920 et 1928). Créée dans le contexte de la crise de conscience résultant de la défaite de 1870, initialement destinée à « la préparation pratique des membres de l’École française d’Athènes » avant leur départ pour la Grèce, l’École française de Rome est devenue très vite le pôle majeur du dispositif scientifique français voué à l’étude de l’Antiquité en Italie et dans les aires de diffusion de la civilisation romaine, mais aussi à celle des époques médiévale et moderne – et récemment contemporaine – de la péninsule. Créée grâce à l’impulsion de membres de l’Académie des Inscriptions (les indianistes Auguste Barth et Émile Senart, le linguiste Michel Bréal) mais aussi avec le soutien attentif du gouverneur général de l’Indochine, Paul Doumer, l’École française d’Extrême-Orient, dont le siège central a été fixé à Paris en 1956, a étendu progressivement, au gré de la création de multiples antennes, le champ de ses investigations à l’ensemble des pays asiatiques de l’Inde à la Chine et au Japon en passant par l’Asie du Sud-Est. Fondée en 1890 par le Père Lagrange, o. p., dans le couvent dominicain Saint-Étienne de Jérusalem, reconnue en 1920 par l’Académie en considération de ses contributions archéologiques et épigraphiques, l’École biblique et archéologique de Jérusalem est restée depuis lors un centre incontournable d’enseignement et de recherche dans les diverses disciplines touchant à la Bible. Enfin la Casa de Velázquez, créée dans l’entre-deux-guerres à partir d’un projet conçu par l’académicien et archéologue Pierre Paris et à la faveur de la donation d’un terrain à Madrid par le roi Alphonse XIII, tient une place de tout premier plan dans le domaine des études hispaniques ; outre une section artistique, elle comprend une section scientifique ouverte aux disciplines les plus diverses intéressant l’Espagne ainsi que les pays d’Amérique latine.

 

Plutôt que de passer en revue les innombrables avancées tributaires de l’activité de l’Académie des Inscriptions depuis la seconde moitié du XIXème siècle, sans doute suffira-t-il d’esquisser ici une rapide galerie de portraits qui révèleront les grands domaines de recherche dont l’essor fut favorisé par l’activité de l’Académie des Inscriptions.

 

Au commencement de ce théâtre d’ombres illustres, il faut évoquer pour les études classiques l’historien Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique sous l’Empire et fondateur de l’École pratique des Hautes Études, Gaston Boissier, spécialiste de la littérature et de l’humanisme latins, l’archéologue Charles Beulé resté fameux pour son dégagement du dispositif complexe de l’entrée de l’Acropole et ses travaux menés au port de Byrsa, l’historien des religions et des sociétés antiques Salomon Reinach, son frère Théodore, savant numismate et amateur d’art qui légua à l’Institut de France sa belle Villa Kérylos, sise à Beaulieu-sur-Mer,

 

les hellénistes Georges Perrot, Paul Foucart et Théophile Homolle, ces deux derniers respectivement initiateur et directeur de la « Grande fouille de Delphes », Albert Dumont, le fondateur de l’École française de Rome, Camille Jullian, maître incontesté des antiquités nationales, le numismate Ernest Babelon, le papyrologue et ptolémaïsant Pierre Jouguet, l’épigraphiste René Cagnat et l’historien de Rome Jérôme Carcopino, le grand connaisseur de l’art grec Charles Picard, Louis Robert, épigraphiste de renom international, le R. P. Festugière, exégète des penseurs grecs, ou encore Henri-Irénée Marrou, historien de l’Antiquité tardive spécialiste de patrologie. Concernant Byzance, dont l’étude s’était développée au sein de la Compagnie conjointement avec celle de la Grèce classique au gré de prospections de terrain et de l’analyse des manuscrits grecs anciens, citons outre les noms de Gustave Schlumberger et de Charles Diehl, maîtres de l’Orient byzantin, ceux de Gabriel Millet et d’André Grabar, historiens de l’art, celui également de Paul Lemerle, spécialiste de l’histoire et de la civilisation de l’Empire byzantin.

 

Naturellement les riches domaines de l’Orientalisme trouvèrent au sein de l’Académie, qui les promut en France, une réelle terre d’élection, tout particulièrement à partir la seconde moitié du XIXème siècle, époque où, avec beaucoup d’engouement, l’on commença à collecter sur le terrain les sources archéologiques et épigraphiques susceptibles d’éclairer les témoignages de la Bible. De même les figures de proues des études sémitiques siégèrent quai de Conti, qu’il s’agisse d’Ernest Renan, directeur de la fructueuse « Mission de Phénicie » (1860-1861) et initiateur de l’importante collection du Corpus Inscriptionum Semiticarum, du marquis Melchior de Vogüé, spécialiste de la Syrie antique et médiévale, de Charles Clermont-Ganneau, interprète fameux de la Pierre de Mesha et savant épigraphiste, ou bien, plus près de nous, d’Édouard Dhorme, maître des études bibliques, et d’André Dupont-Sommer, expert en araméen et spécialiste à la notoriété mondiale des manuscrits de la mer Morte et du courant essénien. Parmi les égyptologues, citons le philologue Emmanuel de Rougé, Auguste Mariette, découvreur du Sérapeum de Memphis et fondateur du musée de Boulaq.

 

son successeur Gaston Maspero, un savant aux compétences innombrables, éditeur des fameux Textes des pyramides et véritable organisateur du Service des Antiquités de l’Égypte, mais aussi Alexandre Moret, Pierre Lacau, Gustave Lefebvre, Pierre Montet et Jacques Vandier. Parmi les assyriologues et les spécialistes du Proche-Orient se détachent les noms de Jules Oppert, le déchiffreur de l’assyro-babylonien, René Dussaud, le grand historien de la Syrie, Claude Schaeffer, le fouilleur de Ras Shamra et d’Enkomi, André Parrot, celui de Mari, enfin Emmanuel Laroche, maître des études hittites et asianiques à qui nous devons la publication, conjointement avec André Dupont-Sommer et Henri Metzger, de la fameuse Trilingue de Xanthos. Les études arabes ont toujours été à l’honneur dans la Compagnie ; à la suite du grand Sylvestre de Sacy, celle-ci compta en effet dans ses rangs : Armand Caussin de Perceval, le pionnier de l’arabe dialectal, les frères William et Georges Marçais, deux savants passionnés du Maghreb, l’épigraphiste Max van Berchem, le philologue et historien Gaston Wiet, l’islamologue et berbérisant Henri Laoust. Pour le domaine turc, relevons, entre autres, les noms d’Amédée Jaubert, Abel Pavet de Courteille et Charles Barbier de Meynard, pour le domaine iranien ceux de Louis-Matthieu Langlès, Étienne Quatremère ou encore Henri Massé.

 

Les études d’indianisme, souvent étroitement liées à celles de la grammaire comparée, ont toujours occupé une place importante dans les préoccupations de l’Académie qui accueillit en son sein nombre de grands savants, qu’il s’agisse du sanscritiste Antoine-Léonard de Chézy, du philologue et spécialiste du bouddhisme Eugène Burnouf, du grand connaisseur des religions de l’Inde Auguste Barth, des védistes Abel Bergaigne et Louis Renou, mais également d’Émile Senart, bouddhologue qui se consacra aussi à l’étude des inscriptions d’Açoka, d’Alfred Foucher, archéologue et sanscritiste spécialiste de l’art du Gandhara, du fondateur de l’Institut français de Pondichéry, Jean Filliozat, historien et philologue intéressé en particulier aux religions de l’Inde du Sud, notamment au sivaïsme. Les études chinoises ont également toujours été présentes avec un éclat comparable ; que l’on en juge à l’évocation de quelques grands savants : Abel Rémusat, qui inaugura la chaire de langue et de littérature au Collège de France, Stanislas Julien, philologue et grammairien, spécialiste notamment des relations de voyage dans l’Inde composées par les bouddhistes chinois, Édouard Chavannes, modèle-type du parfait érudit dont les compétences s’étendaient de l’archéologie à la linguistique, de l’épigraphie à l’anthropologie, Paul Pelliot, un maître tout aussi considérable, directeur de la fameuse expédition en Asie centrale (1906-1908), Henri Maspero, historien complet réputé pour ses travaux sur les religions de la Chine et pionnier dans l’étude des langues de l’Asie orientale, Paul Démieville, philologue et éminent spécialiste du bouddhisme chinois à qui nous devons les premiers fascicules de l’encyclopédie Hôbôgirin publiée par l’Académie, Jacques Bacot enfin, le maître des études tibétaines.

 

Les recherches médiévales, qui connurent leur véritable essor en France notamment à la faveur de la poursuite, par l’Académie, de l’édition des sources fondamentales entreprises sous l’Ancien Régime par les mauristes (Chartes et diplômes relatifs à l’Histoire de la France, Histoire littéraire de la France, Recueil des Historiens de la France, Recueil des Historiens des Croisades), occupent une place de choix quai de Conti. Le nombre et la qualité des médiévistes, philologues ou historiens, juristes, archéologues ou historiens de l’art, que la Compagnie a comptés dans ses rangs témoignent du rôle que celle-ci a toujours entendu jouer pour encourager le développement des disciplines vouées à l’étude du Moyen Âge. Bornons-nous ici à rappeler quelques noms. Pour le XIXème siècle, on retiendra Paulin et Gaston Paris, spécialistes des textes littéraires et de la langue françaises, Natalis de Wailly, éditeur de Joinville et de Villehardouin, Jean-Barthélémy Hauréau, philologue et expert en philosophie scolastique, le connaisseur hors pair des langues et littératures de l’Europe méridionale Paul Meyer, Léopold Delisle, l’un des grands directeurs de la Bibliothèque nationale et historien aux multiples facettes, Jacques-Louis de Mas-Latrie, historien des Croisades et de Venise, l’expert en diplomatique Arthur Giry, Robert de Lasteyrie du Saillant, spécialiste d’architecture romane et gothique. Pour le XXème siècle, on citera Gustave Dupont-Ferrier, précurseur de la prosopographie médiévale et de l’histoire sociale du personnel administratif, le grand historien Ferdinand Lot, Charles Samaran, savant protéiforme, paléographe et historien de la Gascogne, les romanistes Mario Roques et Edmond Faral, le fameux historien de l’art Émile Mâle, celui de l’architecture Marcel Aubert et l’archéologue Paul Deschamp auquel nous devons d’importants travaux sur les constructions des Croisés.

 

Plus récemment d’autres disciplines ont fait leur entrée à l’Académie en raison de la spécialisation de plus en plus marquée que connurent progressivement les sciences humaines. Ainsi, depuis un siècle environ, la linguistique a-t-elle prise une place particulière dans la Compagnie : y ont siégé Antoine Meillet, maître incontesté des études indo-européennes, Émile Benveniste, dont les travaux furent à la fois consacrés aux langues iraniennes, à la grammaire indo-européenne et à la linguistique générale, le phonéticien Maurice Grammont, le celtisant et spécialiste des langues classiques Joseph Vendryes, le latiniste Jules Marouzeau, ou encore le lexicographe Paul Imbs, promoteur du Trésor de la Langue Française. À cette liste sans doute pourrions-nous ajouter, car ses recherches offrent plusieurs points de convergences avec les préoccupations de la linguistique, le nom de Georges Dumézil, fondateur de la mythologie comparée indo-européenne. Dans un tout autre domaine, l’Académie en vint aussi à s’intéresser à la Préhistoire, en certains aspects du moins, la paléontologie restant de la compétence de l’Académie des Sciences : l’abbé Henri Breuil et André Leroi-Gourhan y prirent rang. Enfin, en vertu de son intérêt pour l’historiographie et l’épistémologie historique des XVIème-XVIIème siècles, mais aussi parce que la limite chronologique de ses études, traditionnellement fixée à l’assassinat d’Henri IV, paraît de moins en moins pertinente, l’Académie a inclus dans le cadre de ses pôles d’intérêt la période allant jusqu’à la fin du Grand Siècle ; à la suite d’André Chastel, historien de l’art, spécialiste de la Renaissance, siègent aujourd’hui dans la Compagnie des modernistes intéressés aux divers aspects d’une période fondamentale de notre histoire.

 

Aujourd’hui, les activités menées au sein de l’Académie perpétuent une tradition multiséculaire tout en favorisant les avancées les plus novatrices de la recherche. Pour connaître son organisation et son fonctionnement actuels ainsi que les missions fondamentales qu’elle accomplit quotidiennement, on se reportera aux autres pages de la rubrique « présentation » ; par ailleurs, on trouvera dans les rubriques « publications » et « travaux » tous les détails qui éclaireront sur le rôle éditorial et scientifique de la Compagnie. La légitimité intellectuelle et l’importance scientifique de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres dans le paysage culturel français tiennent au fait que les académiciens forment un cénacle d’experts indiscutés choisis parmi les meilleurs savants des disciplines relevant des sciences humaines.

 

Georges Dumézil

Lettre de Champollion à Dacier

 

 

 

Djamila (Cuiculum) : arc romain

 

 

 

La première école française d’Athènes

 

 

 

Le palais Farnèse au début du siècle dernier

 

 

 

Lecture de Mommsen à l’Académie

 

 

 

Delphes en 1892

 

 

 

Clermont-Ganneau

 

 

Gaston Maspero

 

 

 

Eugène Burnouf

 

 

 

Léopold Delisle