Les derniers progrès en matière de déroulement virtuel des rouleaux carbonisés d’Herculanum : rapport sur les expériences menées entre 2007 et 2014
Résumé
On sait combien il est difficile d’ouvrir et de lire les papyrus
carbonisés d’Herculanum. Depuis leur découverte en 1752 et 1754 dans la
Villa des Papyrus d’Herculanum, de multiples tentatives ont eu lieu,
recourant à différentes méthodes. En partenariat avec l’Institut de
France et Daniel Delattre (CNRS-IRHT et CISPE), le groupe de recherche
(VisCenter) du Dr Brent Seales à l’Université du Kentucky a entrepris de
développer des techniques permettant de numériser et de lire les
papyrus d’Herculanum de manière non destructrice, fondées sur des
méthodes d’imagerie non invasives. Le présent rapport résume les
principaux résultats de cette entreprise obtenus à ce jour.
INTRODUCTION
L’Institut de France avait reçu de Napoléon Ier six rouleaux
d’Herculanum en dépôt. Parmi eux, les PHerc. Paris. 1 et 2 ont été
ouverts à Naples en 1986-87, opération qui a entraîné leur mutilation
irrémédiable en plusieurs centaines de fragments épars. Les PHerc. 3 et
4, eux, sont toujours entiers tandis que les rouleaux 5 et 6 que l’on
croyait perdus ont été récemment retrouvés, partiellement endommagés par
des essais anciens d’ouverture1. Ces rouleaux proviennent,
on le sait, de la bibliothèque de la Villa dite « des Papyrus » qui
contenait un grand nombre de livres philosophiques, principalement
épicuriens (d’Epicure, de ses premiers disciples, et surtout de
Philodème de Gadara) et inconnus par ailleurs.
Le présent rapport récapitule les découvertes qui ont accompagné tout
un ensemble d’expériences dont quelques fragments et deux rouleaux non
déroulés de la collection de la Bibliothèque de l’Institut ont fait
l’objet entre 2007 et aujourd’hui. Suite à la signature d’un accord
entre l’Institut de France et le « VisCenter » de Lexington animé par le
Dr Brent Seales à l’Université du Kentucky, une série de tests non
destructeurs suivis de leur analyse a été entreprise dans l’espoir
qu’elle mènerait à la mise au point d’une technique à même de faire
apparaître, en tout ou en partie, le texte contenu dans les deux
rouleaux non déroulés.
1. Chronologie des faits principaux
Fin 2003 : Seales réalise des expériences préparatoires sur des échantillons fabriqués dans son laboratoire
2004-2005 : mise au point d’un protocole expérimental de scannage et
d’un logiciel d’analyse pour commencer à expérimenter le « déroulement
virtuel »
2006 : la National Science Foundation finance le projet EDUCE (responsable principal : B. Seales)
2007 : D. Delattre collabore avec B. Seales pour proposer d’analyser
le matériel provenant d’Herculanum conservé à l’Institut de France
Fin
2007 : M. Leclant, au nom de l’Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres, donne son accord à une série d’expériences à mener sur
trois fragments provenant des rouleaux 1 et 2 qui sont prêtés au groupe
de recherche de B. Seales pour huit mois et transportés aux USA par D.
Delattre et L. Capron
Juillet 2008 : les trois fragments prêtés sont rapportés, sans le
moindre dommage, à l’Institut par ceux qui les avaient convoyés
Fin 2007
2009 : M. Leclant donne l’accord de l’AIBL pour une seconde série
d’expériences sur deux fragments, qui seront restitués (sans dommage) à
l’Institut en 2011
19 juin 2009 : B. Seales présente à l’Institut une note
d’information, traduite de l’anglais par D. Delattre, et intitulée
« Lire sans détruire les papyrus carbonisés d’Herculanum » (CRAI
avril-juin 2009)
juillet 2009 : Les deux rouleaux intacts (3 et 4) sont scannés sur place
à l’Institut de France, à l’aide d’un CT scanner (tomodensitomètre)
généreusement prêté par la société belge SkyScan (technologie non
invasive)
2010-2012 : B. Seales supervise l’analyse des divers tests et des
multiples scans réalisés à Paris, en rassemble les conclusions et
prépare en collaboration avec D. Delattre la publication des résultats.
De g. à d. : Daniel Delattre, M. Jean Leclant, Brent Seales et Mme Pastoureau.
2. Travaux connexes et résultats préliminaires
Dans les années précédant la collaboration entre D. Delattre et B.
Seales et leur proposition conjointe à l’Institut de France en 2007,
beaucoup de travail avait été fourni pour faire la preuve des
potentialités du « déroulement virtuel », qui faisait apparaître à la
fois les promesses et les contraintes de cette technique.
A la différence de l’imagerie multispectrale qui a permis d’améliorer
considérablement la lecture des rouleaux déjà ouverts, le présent projet
avait comme double objectif de révéler le texte et la structure interne
des parties cachées de rouleaux non encore déroulés. Etant donné la
fragilité du matériel, il était impératif que le procédé utilisé soit
non invasif et ne risque pas d’endommager les rouleaux. L’équipe de
recherche de B. Seales s’est donné comme tâche première de rechercher
des fonds auprès de la National Science Foundation, afin de développer
systématiquement chaque étape de l’entreprise : scannage, fabrication de
maquettes, élargissement des résultats et visualisation des données
finales.
3. UNE PREMIÈRE ANALYSE DE FRAGMENTS
Le prêt de trois petits fragments parisiens visait à déterminer la
composition de l’encre et celle du support papyrus, la connaissance de
la composition chimique des encres devant aider l’équipe des chercheurs à
affiner la méthode de scannage. Les trois fragments, choisis parce
qu’ils présentaient des couches superposées et appartenaient à deux
rouleaux différents, ont servi pour tenter de distinguer, lors du
scannage, la composition chimique de papyrus d’Herculanum authentiques
de celle de l’encre utilisée par les scribes antiques. Pendant huit mois
(2007-2008), les trois fragments prêtés par l’Institut de France ont
été conservés dans la Collection spéciale de la Bibliothèque de
l’Université du Kentucky, avant d’être confiés au Pacific Northwest
National Laboratory et de revenir à Lexington. Après mise au point des
protocoles expérimentaux, trois séries d’expérimentations se sont
succédé.
3. 1 Microscopie électronique à balayage (SEM) – analyse spectroscopique dispersive en énergie (EDX)
Le but est de caractériser la composition chimique de l’encre
d’une part et du support sans encre d’autre part, sur une zone réduite
de papyrus. La différence entre les deux doit permettre de configurer
les paramètres d’une méthode de scannage à même de détecter séparément
tant l’encre que le support, en créant un contraste entre les deux. Les
résultats de ces tests indiquent seulement la présence ou l’absence
d’éléments chimiques, sans pouvoir en préciser les quantités. Le test
réalisé dans un laboratoire partenaire (Todd Hastings) à l’Université du
Kentucky a confirmé que le calcium permet de distinguer l’encre de ce
qui n’est pas encre.
3. 2 Analyse chimique par la méthode PIXE (spectrométrie par émission de particules et mesure des rayons-X)
Cette méthode qui est plus sensible que la précédente, dans la
détection des éléments chimiques, a été choisie pour corroborer les
résultats précédemment obtenus et pour découvrir des éléments qui
auraient échappé à l’analyse par SEM/EDX. Ces tests ont été réalisés au
Pacific Northwest National Laboratory sur les fragments 96 et 126 du
PHerc. Paris. 2. Seuls les tests menés sur le fragment 126 ont confirmé
la présence de calcium, mais aussi celle de deux métaux légèrement plus
lourds - strontium et plomb - en faible concentration, l’épaisseur du
fragment 96 ne permettant pas d’obtenir des résultats significatifs.
3. 3 Tomodensitométrie (CT) - imagerie par résonance magnétique (IRM)
Les fragments ont été soumis à ces deux techniques utilisées en
médecine, afin de déterminer - avant de recourir à la
micro-tomodensitométrie expérimentale - si des réglages standard
produiraient un contraste significatif entre l’encre et le support :
aucun de ces tests n’a produit le contraste attendu.
3. 4 Récapituation des acquis des tests effectués sur les fragments
*Présence dans l’encre de calcium, et en traces infimes dans le papyrus vierge (EDX, confirmé par PIXE) *Présence d’aluminium et de magnésium dans l’encre, mais aussi dans le papyrus à des concentrations un peu différentes (EDX, confirmé par PIXE) *Présence de faibles traces de strontium et de plomb dans l’encre (PIXE) *Tomodensitométrie et imagerie à résonance magnétique inopérantes pour faire apparaître un contraste entre l’encre et le papyrus
La conclusion positive à tirer de ces tests est que le calcium et des traces d’aluminium, magnésium, strontium et plomb sont les éléments discriminants entre l’encre et le matériau papyrus dans les fragments d’Herculanum.
4. MICRO-TOMODENSITOMÉTRIE DES PHERC.PARIS. 3 et 4
La deuxième partie du projet a consisté à scanner les rouleaux 3 et 4 au moyen de la micro-tomodensitométrie, qui sert à rendre visible la structure interne des objets. Si les tests sur les fragments révélaient des différences de composition chimique mesurables, il était néanmoins impossible de préciser la manière dont ces différences se manifesteraient à l’aide de la micro-tomodensitométrie industrielle, et donc difficile de connaître à l’avance le degré de contraste qu’on pourrait obtenir entre l’encre et son support. Un scanner portable (modèle SkyScan 1173) a été mis à disposition et livré gracieusement par la société SkyScan, de Kontich (Belgique) à l’Institut de France - dont le porche d’entrée a été tout juste assez large pour laisser entrer le camion.
4. 1 Caractéristiques de l’équipement
La source de rayons-X
de cette machine - pesant 270 kg et mesurant 1m 07 de large, 0, 625 m
de haut et 0, 72 m en profondeur - peut produire un rayonnement allant
de 40 à 130 KeV, avec une taille de point de 5 microns. Le détecteur par
rayons-X offre une résolution de 2240 x 2240 pixels avec un champ
dynamique de 12 bits. L’échantillon à analyser est fixé sur un socle qui
peut se mouvoir dans trois directions et tourne à 360°. La taille
maximale de l’échantillon est pour ce modèle de scanner de 0,20 m de
long et de 0,14 m de diamètre, ce qui convenait fort bien pour les deux
rouleaux.
4. 2 Support et mesure de l’échantillon
Deux boîtes en polyuréthane, transparentes aux rayons-X et
doublées à l’intérieur d’un revêtement satiné, ont été préalablement
fabriquées à la conformation exacte de chacun des deux rouleaux
(préalablement scannés en 3D pour prise d’empreintes), en vue d’éviter
tout dommage aux rouleaux durant les diverses phases de l’expérience.
4. 3 Scannage des deux rouleaux intacts
Les PHerc. Paris. 3 et 4 ont été scannés l’un après l’autre en
juillet 2009, avec différents réglages de puissance des rayons-X et
différentes configurations de résolution, dans l’espoir que le scannage
produirait un ensemble de données qui feraient apparaître clairement le
texte écrit qu’ils renferment. A cause des contraintes informatiques
imposées par la reconstruction virtuelle complète, il n’était pas
possible de reconstruire tous les ensembles de données sur place, si
bien qu’on a dû réaliser le scannage en estimant a priori la manière
dont l’encre et le papyrus pourraient finalement se différencier. La
présentation finale, quant à elle, n’a été obtenue qu’une fois la
reconstruction achevée, alors que le scannage était terminé depuis
longtemps.
Chaque rouleau a été scanné section par section, puisque les rouleaux
étaient trop grands pour être embrassés en une seule fois par le rayon :
chacune de ces sections étant scannée en pleine résolution, elles
s’assembleraient ensuite virtuellement en se recouvrant lors de la
reconstruction. La détermination des protocoles de scannage
(paramètrage) a pris beaucoup de temps et exigé une analyse attentive
sur place des scans tests et des estimations de positionnement. Les
rouleaux ont été manipulés uniquement par le personnel de l’Institut, en
l’occurrence Mme F. Queyroux qui a veillé constamment à leur sécurité :
à aucun moment leur intégrité n’a été mise en danger.
4. 4 Analyse
La reconstruction des données du scannage par
micro-tomodensitométrie, effectuée en juillet 2009, a nécessité
l’utilisation des serveurs informatiques à processeurs multi-cœur de
l’Université du Kentucky durant un mois. Cette reconstruction a été la
première étape d’un processus complexe de mise en ordre des données aux
fins de constituer à partir des sessions de scannage un ensemble de
données validé. En particulier, se sont succédé fin 2009, une fois le
scannage achevé, les étapes informatiques suivantes :
*la reconstruction complète, en pleine résolution, à partir de toutes
les projections originales, de tous les ensembles de données
micro-tomodensitométriques,
*l’alignement des sections reconstruites sous forme de maquettes
complètes avec fusion des couches superposées,
*l’alignement de scans complets, effectués à des réglages différents en
puissance, les uns avec les autres, quand c’était possible,
*l’attribution à chacun des scans de métadonnées validées et de noms
conventionnels.
Coupe fine typique montrant la structure interne chaotique et les trois variations d’intensité primaire : densité de fibre, silice et trous d’air
Ce processus a nécessité près de huit mois. C’est seulement en mai
2010 que des ensembles complets de données ont été prêts pour être
segmentés en couches et déroulés à plat.

© Brent Seales
4. 5 Découvertes
Les données micro-tomodensitométriques font apparaître, dans
les deux rouleaux, la structure d’ensemble de leur enroulement. La
structure des fibres du papyrus se voit clairement et la résolution des
scans (25 microns environ) a été suffisante pour distinguer les
différentes spires, rendant possible un décompte des strates de chacun
des rouleaux. En raison du mauvais état des rouleaux et d’un certain
nombre de sections où il manque des couches, le décompte exact des
spires est difficile. Mais l’analyse fait voir sur les images de
diverses couches que le nombre des spires était compris entre 110 et 130
pour ces rouleaux. Cela représente une longueur approximative comprise
entre 11 et 15 mètres, et qui correspond tout à fait à la longueur
(calculée) de nombreux rouleaux d’Herculanum (par exemple, le volumen
reconstruit du livre IV de La Musique de Philodème avait une longueur
d’un peu moins de 12 m).
Les scans présentent de nombreuses variations d’intensité, qui ont pu être attribués à trois facteurs essentiels :
- la présence de silice (?)
- des variations de la structure et de la densité du papyrus
- la présence de poches d’air. A quoi l’on peut ajouter la présence d’un umbilicus - fine baguette qui, dans le cas présent, faisait toute la hauteur du rouleau et dont les extrémités sont d’ailleurs visibles à l’œil nu - autour duquel était enroulé le seul PHerc.Paris.3 (294 grammes) et qui s’est brisé en plusieurs morceaux suivant les déformations imposées au rouleau lors de l’éruption du Vésuve. Le PHerc.Paris.4, en revanche, qui par ailleurs est moins épais et moins lourd (141 grammes) et moins « torturé », était simplement roulé sur lui-même, car les scans ne montrent aucune variation d’intensité en son centre. Comme les deux cas de figure se rencontrent parmi les autres papyrus d’Herculanum, ce constat n’a rien de surprenant. Néanmoins nous n’avons pas réussi à détecter de variations d’intensité qui seraient un effet direct de l’encre.
La structure interne des papyrus se révèle extrêmement irrégulière et, pour cette raison, constitue un défi pour qui cherche à les dérouler complètement en une surface plane et cohérente. De nombreux essais ont permis de « dérouler » un ensemble de petites sections, chacune d’entre elles montrant clairement le croisement à angle droit caractéristique des fibres du papyrus. Cela confirme que le déroulement et la mise à plat qui ont pu être réalisés virtuellement pour certaines sections sont corrects. Toutefois, la micro-tomodensitométrie ne fait apparaître aucune trace d’encre sur les sections ainsi « déroulées ».
5. DEUXIÈME ANALYSE DE FRAGMENTS
Un second ensemble de tests a été mené sur deux
fragments chez SkyScan à Kontich en Belgique, et à Palo Alto en
Californie, dans l’accélérateur en ligne de Stanford. Ces tests,
incluant une analyse à très haute résolution effectuée à l’aide de ce
qu’on appelle la « nano-tomodensitométrie » ainsi que d’une imagerie
utilisant les rayons-X à très haute résolution, ont constitué une façon
d’exploiter les informations fournies par la première analyse de
fragments menée en 2007-2008.
5. 1 Nano-tomodensitométrie
La tomodensitométrie à l’échelle nano, réservée à des
échantillons de très petite taille, permet une reconstruction qui
recourt à des énergies de rayons-X plus basses et à des résolutions
beaucoup plus petites. Il était raisonnable de tenter une expérience à
l’échelle nano avec des énergies beaucoup plus proches de la raie
d’absorption, ou « raie K », du calcium. Quand on utilise des énergies
de photons voisines de la raie d’absorption d’un élément chimique, il se
produit une nette discontinuité dans le spectre d’absorption. Les
premiers tests sur des fragments ayant révélé que le calcium est un
facteur discriminant de l’encre employée à Herculanum, l’idée était de
rassembler des données les plus proches de la raie K du calcium qui est
de 4,0381 keV. Quoique il n’ait pas été possible de produire des
rayons-X à 3-4 keV à l’aide de la source à disposition, des données ont
pu néanmoins êtres récoltées dans un registre nettement plus bas qu’avec
la micro-tomodensitimétrie, entre 10 et 20 keV.
L’expérimentation a été faite dans un vide partiel pour réduire
l’atténuation et avec une énergie de l’ordre de 20 keV : les données de
la nano-tomodensitométrie se sont révélées incapables de détecter
l’encre dans de telles conditions. Etant donné que l’échantillon portait
sur la couche supérieure de l’encre nettement visible, on a désormais
la confirmation indiscutable que les techniques d’absorption à 20 keV et
plus ne rendent pas visible l’encre. Ce résultat est certes décevant,
mais cohérent avec ceux qu’avaient fournis les méthodes EDX et PIXE,
bien que nous ayons cru que les traces de strontium ou de plomb
pourraient jouer sur l’absorption de l’encre et mener à sa
visualisation.
5. 2 Radiographie numérique à haute résolution
La radiographie standard ou la projection de rayons-X pour la
tomographie ont une extension spatiale et une intensité dynamique
limitées. Afin de détecter des différences d’absorption très ténues,
l’utilisation des rayons-X à haute définition et haute sensibilité
permet d’étendre le spectre dynamique détecté et d’ouvrir des
opportunités pour le renforcement et la segmentation là où les rayons-X
standard échouent. Cette méthode d’imagerie se caractérise par un
allongement des temps d’exposition à la source de rayons-X et une plus
grande sensibilité d’imagerie.
5. 3 Imagerie thermographique
L’imagerie thermique, qui a la particularité de faire
apparaître les contrastes en se basant sur la réponse à la lumière
infrarouge, peut pénétrer jusqu’à une certaine profondeur dans les
matériaux perméables. Que de grandes longueurs d’onde puissent accentuer
le contraste de l’encre utilsée à Herculanum, cela l’imagerie
multi-spectrale l’a déjà montré. L’objectif de ce nouveau test était de
voir combien de couches une lumière infrarouge brillante ou intense
pourrait pénétrer. Bien que nous ayons pu reproduire des expériences de
contraste avec des longueurs d’onde tournant autour de 900 nm, il n’a
pas été possible de pénétrer à travers le papyrus pour y mettre en
évidence de l’écriture sous la couche supérieure.
5. 4 SEM-EDX
Pour confirmer les découvertes obtenues lors des premiers tests
sur les fragments, nous avons testé indépendamment un autre fragment à
l’aide des techniques SEM-EDX. Ce test effectué sur un fragment
différent se voulait une confirmation des résultats précédemment obtenus
à l’aide des techniques PIXE et EDX. Les résultats ont confirmé les
précédentes expériences, quoique avec des changements dans les
concentrations de calcium, de silice et de silicium dans l’encre et le
papyrus. Cette expérience n’a pas détecté de trace d’élément plus lourd.
5. 5 Spectrométrie de fluorescence X à haute résolution (XRF)
La spectrométrie de fluorescence X sert principalement à
déterminer la composition chimique d’une substance par la mesure de
l’émission de rayons-X qu’elle induit (c’est cela qu’on appelle
précisément « fluorescence »). Les systèmes à haute résolution spatiale
et à haute sensibilité à des éléments plus légers requièrent
l’utilisation d’un rayonnement extrêmement fin et de grande intensité,
produit dans un accélérateur en ligne. Ce rayon, braqué sur un
échantillon, produit la fluorescence secondaire aux rayons-X dont la
détection est ensuite interprétée pour préciser la composition
élémentaire de l’échantillon.
Cette expérience a été la seule pour laquelle un accès à une ligne de
rayons-X de haute puissance produite par un synchrotron a été accordé.
Ce faisceau était à même de mesurer la réponse à des énergies beaucoup
plus basses que ne le fait un faisceau standard. L’analyse de fragments à
l’aide d’un faisceau cohérent de synchrotron est l’un des domaines les
plus prometteurs de la recherche, puisque les rayons peuvent être réglés
de façon à tirer avantage de traces d’éléments, de configurations
élémentaires telles que calcium ou silicium, et des traces d’éléments en
combinaison.
Les résultats de l’expérimentation avec le synchrotron, menée avec
l’accélérateur en ligne de Stanford, ont fait apparaître un contraste
sur la ligne de l’arsenic, ce qui était une nouveauté. Mais comme nous
n’avons pas disposé de suffisamment de temps de lumière pour confirmer
ce résultat sur d’autres fragments, ce champ reste ouvert à la
recherche.
5. 6 Deuxième test sur des fragments : récapitulation des découvertes
Le deuxième ensemble de tests menés sur les fragments a
confirmé que le calcium permet de différencier l’encre du papyrus. Les
tests de fluorescence effectués avec l’accélérateur de Stanford ont
montré qu’il peut y avoir également présence d’arsenic - élément
supplémentaire pouvant servir à discriminer l’encre. Mais les tests sont
loin d’avoir permis de développer une méthode pour créer un contraste
entre les zones encrées et non encrées. Il n’est pas exclu que, si la
nano-tomodensitométrie n’a pas permis de générer de contraste, ce soit
parce que des énergies aussi basses que 3-4 keV n’ont pas pu être
produites par la source de rayons-X dont nous disposions. L’encre n’est
pas visible à la radiographie numérique à haute résolution, et
l’imagerie thermographique a montré que l’épaisseur des spires de
papyrus arrête la pénétration de la lumière infrarouge au-delà d’une (ou
deux) couche(s). Il ne paraît donc pas possible de recourir aux
techniques thermographiques pour un rouleau entier.
6. CONCLUSIONS
Voici, en fin de compte, ce que plusieurs années de travail et
d’analyse nous ont permis de découvrir concernant les fragments et les
rouleaux d’Herculanum :
*la micro-tomodensitométrie a rendu visible la structure interne
complète des PHerc. Paris. 3 et 4 ;
*le nombre des spires donne, pour chacun des rouleaux, une longueur
approximative comprise entre 11 (n°4) et 15 m (n°3) ;
*la micro-tomodensitométrie fait apparaître de nombreuses variations de
densité ; les nombreux petits points clairs sur les scans indiqueraient
(?) la présence de silice à l’intérieur des rouleaux intacts ;
*les autres variations de densité sur les scans sont dues à la variation
en densité des fibres du papyrus ainsi qu’à des poches d’air présentes
entre les couches ;
*il n’a pas encore été trouvé de technique pour rendre visible l’encre à
l’intérieur des rouleaux en dépit des tests menés sur les fragments qui
indiquent la présence possible de calcium, de silicium, d’arsenic, de
strontium et de plomb dans l’encre, eléments absents dans le papyrus
vierge.
Le « déroulement virtuel » complet de chacun des rouleaux n’est pas
encore achevé en raison des difficultés algorithmiques qui se
rencontrent dans le traitement des données. Néanmoins le travail se
poursuit pour relever ce défi, le but étant de faire voir comment se
présenterait le rouleau un fois entièrement déroulé et mis à plat. La
confirmation que la segmentation des données est correcte peut être
obtenue à partir de la mise en évidence de la structure des fibres du
papyrus. Peut-être sera-t-il possible de découvrir d’autres
caractéristiques dans les données, une fois le déroulement virtuel
achevé. A défaut de rendre visible le texte caché, cette opération
devrait apporter d’intéressants renseignements aux papyrologues, en
permettant par exemple de repérer les collages verticaux (kolleseis) des
feuillets de papyrus et ainsi de mesurer précisément la largeur des
différents feuillets mis bout à bout pour fabriquer chaque rouleau et
d’en faire le décompte total. Mais surtout, appliquée à des fragments
isolés comportant plusieurs strates, cette technique pourra permettre de
connaître le nombre ainsi que la forme et la taille de chacune des
strates superposées et, par là même, de préciser la « géographie » des
colonnes qui précèdent celle où la couche supérieure trouve sa place en y
positionnant de façon assez précise la silhouette des fragments cachés
(sottoposti), même si le texte ne s’en lit pas encore. Cela devrait
constituer une aide appréciable pour la reconstruction de rouleaux
démembrés tels que les PHerc.Paris.1 et 2. De même, quand des restes
limités de couches supérieures (sovrapposti) subsistent sur la couche
principale, il deviendra possible de faire la même opération que
précédemment, mais cette fois en réservant des zones correspondantes
(vides de texte) dans les colonnes suivant celle où l’on replace la
couche « de base ». Or le problème des sovrapposti et sottoposti est
précisément l’un des plus difficiles à résoudre pour les papyrologues
d’Herculanum.
On dispose aujourd’hui de techniques comme la tomographie par rayons-X
en contraste de phase, qui seraient peut-être susceptible de créer, sur
la base des résultats déjà obtenus, un contraste entre l’encre et le
papyrus. En particulier, la présence confirmée dans l’encre de calcium
et autres éléments absents dans le papyrus peut servir à construire une
méthode d’imagerie recourant au synchrotron qui soit adaptée à la
production de contraste entre les données. Comme ces techniques, qui ne
sont pas invasives, sont en mesure de produire une percée à travers les
couches qui rendrait l’encre visible, il paraît raisonnable d’envisager
de poursuivre les tests dans cette direction.
Comment accéder à l’écriture contenue dans les rouleaux d’Herculanum
non encore déroulés ? Voilà un défi parmi les plus stimulants qui
soient pour les chercheurs d’aujourd’hui : la présente recherche a déjà
contribué, de façon substantielle, à faire connaître comment on peut
envisager de relever un tel défi - et cela, il faut le redire, sans
causer de dommage au matériel original.
Derniers développements des expériences menées sur le PHerc. Paris 4 au Synchrotron européen (ESRF) de Grenoble en novembre 2014
Voir le lien suivant : http://www.nature.com/ncomms/2015/1…
Notes :
1 Voir plus loin sur le présent site la Note d’information de D. Delattre « Enquête sur les PHerc.Paris. 5 et 6 ».
LIRE LA SUITE :
- 1ère Partie : Les Papyrus d’Herculanum de Paris
- 2ème Partie : Première Campagne de restauration et de conservation du PHerc.Paris 2 (2-5 avril 2007)
- 4ème Partie : Historique des Papyrus d’Herculanum de Paris (1802-2013)