Séances 13 octobre 2017

Communication de M. Martin Glessgen, professeur à l’Université de Zurich, directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études/PSL, sous le patronage de M. Robert MARTIN, membre de l’Académie : « « Les plus anciens « Documents linguistiques de la France » (DocLing). Histoire, présent et perspectives d’un projet centenaire ».

Résumé :Le projet des Documents linguistiques (DocLing) a été entrepris vers 1890 par Paul MEYER et continué par Clovis BRUNEL, puis par Jacques MONFRIN, tous trois membres de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Il est dédié à l’écrit documentaire dont le volume dépasse dans la Romania médiévale celui de tous les autres genres textuels confondus par un facteur 100. Le potentiel de recherche de l’écrit documentaire pour la linguistique historique reste toutefois peu exploité, ce qui nous a décidé de poursuivre ce projet centenaire depuis 2001. Les DocLing englobent à présent toute la Galloromania entre le XIIe et le XVe siècle dans la tentative de répertorier, d’éditer et de préparer à l’analyse linguistique les témoins médiévaux. Ils ouvrent ainsi des perspectives inattendues, notamment grâce à leur intégration actuelle dans un environnement électronique.

Nous présenterons l’histoire centenaire des Documents linguistiques, leur état éditorial actuel – qui intègre les éditions du XXe siècle, tout en élargissant le corpus comportant désormais ca 3000 actes –, les principes de l’édition électronique ainsi que les interrogations linguistiques qui en émanent.

Dans le domaine scriptologique, l’étude des DocLing a permis d’identifier que la dimension déterminante pour le choix des variantes linguistiques n’est pas en premier lieu l’individu (c’est-à-dire le scribe), ni même un lieu géographique défini, mais la chancellerie ou le scriptorium qui assume la responsabilité de la rédaction de l’acte, soit ce que nous avons choisi d’appeler le « rédacteur ». Le balisage systématique du corpus en cours – avec, actuellement, 250 000 occurrences balisées – entend fournir une nouvelle mesure dans l’analyse de tout texte en langue ancienne qui permettra de préciser les évolutions phonétiques et morphologiques du français ainsi que du franco-provençal.

Dans le domaine du lexique, le projet poursuit l’intégration du vocabulaire des actes dans le Dictionnaire Étymologique de l’Ancien Français (DEAF) électronique pour rendre accessibles les quelque 10 000 lexèmes dans un cadre permettant à la fois leur sémantisation et la comparaison avec des attestations provenant d’autres genres textuels. Parallèlement à cette emprise de type holistique, nous avons entrepris une analyse systématique de la régionalité lexicale auquel le corpus se prête idéalement de par son ancrage philologique fiable.

Enfin, nous montrerons que les Documents linguistiques sont significatifs pour le processus d’élaboration de la langue française, dans la mesure où ils reflètent dans leur état grapho-phonétique les aléas de la formation d’une norme langagière. Ces réflexions et les travaux de Paul Videsott sur la chancellerie royale nous ont amené à étudier de plus près la situation de la scripturalité vernaculaire à Paris, qui débute précisément à l’époque de Louis IX. Les analyses linguistiques dans les différents domaines du langage apportent une meilleure compréhension des phénomènes d’élaboration et permettent de mieux cerner la formation d’une norme française écrite au Moyen Âge.

Les Documents linguistiques fournissent ainsi une base nouvelle pour la connaissance de la langue médiévale. Ils permettent d’appréhender la variance de manière précise et quantifiée et ouvrent le regard sur la diversité géolinguistique du domaine d’oïl.

Mots clé : français médiéval, ancien occitan, philologie, écrit documentaire, linguistique de corpus