Coupoles Programme de la Coupole

Programme de la Coupole

Peinture et poésie » pour célébrer le 100e anniversaire de M. JAO Tsung-I, associé étranger de l’Académie.

  • La vie et les travaux de l’Académie en 2017, par M. Christian ROBIN, Président de l’Académie
  • Lecture par M. Jean-Louis FERRARY, Vice-Président de l’Académie, du Palmarès de l’année 2017 et proclamation des nouveaux archivistes paléographes
  • Allocution d’accueil de M. Michel ZINK, Secrétaire perpétuel de l’Académie
  • Discours de M. Laurent PERNOT, membre de l’Académie : « Dialogue du texte et de l’image dans l’Antiquité gréco-romaine

 

Le célèbre hémistiche d’Horace, ut pictura poesis (Art poétique, 361) invite à la comparaison entre poésie et peinture. Les peintres antiques ont volontiers emprunté leurs sujets aux poètes, épiques ou tragiques, et à la mythologie poétique, représentant par exemple La mort de Sarpédon ou Médée s’apprêtant à tuer ses enfants. Inversement, les poètes ont décrit des tableaux, réels ou imaginaires, conformément au genre littéraire de la « description » (ekphrasis) que ce fût sur le mode admiratif, avec le Tableau cosmique de Jean de Gaza, ou de façon distanciée, avec la Prise de Troie du roman de Pétrone. Un jeu étourdissant d’influences croisées trahit la rivalité de la poésie et de la peinture dans l’Antiquité gréco-romaine : rivalité pacifique, et même rivalité amoureuse, les deux arts se disputant la faveur du public. La question était de savoir lequel des deux moyens d’expression, du texte ou de l’image, présente la plus grande évidence, imite le mieux la Nature et parle le plus éloquemment à l’imagination. Les réponses apportées constituent les moments d’un dialogue rhétorique et philosophique qui s’est prolongé et a pris des formes multiples. C’est dans le cadre de ce dialogue que les Anciens inventèrent les calligrammes non point le mot, qui est moderne, mais la chose. Chez le Grec Théocrite et le Romain Optatianus, le poème se fait tableau, grâce à la disposition des vers, qui figurent ici la flûte de Pan, là le monogramme du Christ. Ces compositions raffinées associent des enjeux littéraires et biographiques aux plaisirs de la virtuosité cérébrale.

 

 

  • Discours de M. Jean-Yves TILLIETTE, membre de l’Académie : « Figurer l’invisible : calligrammes médiévaux »

Comme le montre un beau livre récent de Vincent Debiais (La croisée des signes. L’écriture et les images médiévales, Paris 2017), au moyen âge, l’écriture est peinture. Aussi bien les miniaturistes tracent-ils les premiers mots du livre où s’exprime la plus haute poésie, le psautier, en caractères décorés de savants entrelacs, empruntés à des alphabets solennels dont l’usage magnifie le texte qu’ils transcrivent. A l’inverse, mais toujours en vue d’exprimer la louange de Dieu, les mots se font images dans la tradition des carmina figurata, héritée de la poésie curiale de l’Antiquité tardive : les poèmes à la gloire de la sainte Croix, de Raban Maur (ca. 810), en fournissent le plus majestueux et le plus complexe exemple, où des poèmes inclus dans le poème dessinent des figures symboliques. Selon les « alphabets par équivoque » comme celui de Huon le Roi, au XIIe siècle encore, le jeu des lettres, dans leur matérialité graphique aussi bien que phonique, (dé)voile des significations sacrées. Car, dans une civilisation de l’oral, « voir, c’est ouïr ». Ainsi, les savantes images qui, à la fin du XIVe siècle, transmettent les œuvres lyriques des auteurs-compositeurs de l’ars subtilior conjoignent-elles trois arts, peinture, poésie et musique. La « harpe de mélodie » qui porte leurs poèmes tout en les illustrant se substitue alors à celle de David le psalmiste.

  • Discours de M. Franciscus VERELLEN, membre de l’Académie : « Jeux d’encre : poésie et peinture en Chine »

La tradition chinoise pense la rencontre entre la poésie et l’art pictural en termes de peinture inspirée d’un poème, ou de poème qui se fait interprète d’une peinture, ou encore d’union voire de fusion, susceptible de produire un effet esthétique véritablement intégré. Certains poèmes évoquent les circonstances de la création des œuvres qu’ils accompagnent. D’autres en offrent une clef de « lecture ». Comme en Occident, la critique chinoise pose la question de savoir si poésie et peinture sont sœurs égales, et si leurs fonctions sont interchangeables.

Deux héritiers de cette pensée parmi les plus remarqués de nos jours en Chine sont Yuan Xingpei, éminent lettré et doyen des études chinoises à l’université de Pékin, et Jao Tsung-I, sinologue, peintre, poète et calligraphe de Hongkong, de grand renom. L’analyse de Yuan Xingpei, à partir de l’étude des œuvres d’un groupe choisi de peintres des dynasties Ming et Qing et du corpus de poésie de l’époque des Tang à celle des Ming, met en contraste l’espace d’imagination ouvert au lecteur par la poésie avec celui, selon lui plus restreint, de la représentation picturale. L’artiste qui veut rendre la pensée d’un poète est contraint selon Yuan Xingpei, d’opérer des choix toujours limitatifs. Yuan constate que les modes de traitement de l’image des poètes et des peintres divergent et que leurs expressions finales respectives diffèrent fondamentalement. Il rejoint ainsi les rangs des sceptiques qui de tout temps, en Chine comme en Europe, ont exprimé des doutes quant à la commensurabilité de ces deux formes d’art.

Jao Tsung-I quant à lui porte un jugement historique plus nuancé, sans doute coloré par sa propre pratique artistique. Parmi ses écrits érudits, on note un bref exposé des principes philosophiques et spirituels qui sous-tendent la juxtaposition de la poésie et de la peinture, ainsi qu’un essai sur le rapport de l’art pictural, non pas avec la poésie régulière (shi), mais avec les « poèmes à chanter » (ci). Cette voie ajoute une nouvelle dimension au débat sur la correspondance entre les arts, à savoir celle de la musique. Pour Jao, poésie, poèmes à chanter et peinture possèdent des styles et des formes d’expression bien distincts. Les arts, dit-il, cherchent à se rencontrer mais n’échangent guère de rôle ; ayant atteint leurs confins, ils reviennent à leur propre base. Une dizaine d’œuvres de Jao seront passées en revue comme illustration du dialogue entre poésie et peinture que l’on observe au sein de la création artistique de Jao Tsung-I.