Coupoles Bilan 2000

Par M. Philippe CONTAMINE, Président de l’Académie

Excellences
Mes chers Confrères,
Mesdames, Messieurs,

Bien plus qu’un banal rituel, c’est un devoir de piété humaine, trop humaine, pour le Président, dans l’adresse inaugurale qu’il lui revient de prononcer lors la rentrée solennelle de l’Académie sous la Coupole, que d’évoquer ceux de ses membres, de ses associés étrangers, de ses correspondants français et étrangers qui ont disparu durant l’année écoulée.

L’an 2000, hélas !, ne nous a pas épargnés.

M. Michel LEJEUNE, décédé le 26 janvier, était notre doyen d’élection ; il avait été élu en 1963 et présida l’Académie en 1969. Né en 1907 dans une famille de passementiers parisiens, frère du dessinateur Jean Eiffel, il connut une carrière remarquable par la rapidité et l’aisance avec lesquelles il franchit les étapes d’un cursus à la fois classique et brillant : École normale Supérieure, agrégation de grammaire, doctorat ès lettres.

Puis ce furent les université de Poitiers, de Bordeaux, de Paris, le Centre national de la Recherche scientifique et la IVe section de l’École pratique des Hautes Études où il enseigna bien au-delà de l’âge légal de la retraite. Ses nombreux disciples l’entouraient d’une affectueuse admiration, presque d’une dévotion. Linguiste et philologue à la manière de ses maîtres Joseph Vendryes, Émile Benveniste, Alfred Ernout, il étendit le champ de ses investigations au grec ancien, au phrygien, à l’ibère, au vénète, au gaulois. D’où la publication par cet esprit infatigable d’articles, de mémoires, de livres qui se succédèrent à un rythme soutenu jusqu’à la fin. Les découvertes archéologiques lui apportèrent une foule de nouveaux matériaux linguistiques. M. Lejeune jouissait dans notre compagnie d’une grande autorité morale. Il n’avait besoin de forcer ni la note ni la voix pour que ses avis fussent écoutés et respectés.

Décédé le 16 juillet, M. Jean VERCOUTTER était un homme du Nord, né à Lambersart, près de Lille, en 1911. Il avait été élu académicien en 1984 après avoir été notre correspondant depuis 1974. Il se fit égyptologue sous l’influence de Gustave Lefebvre. La seconde guerre mondiale ne lui permit de devenir pensionnaire à l’Institut français d’Archéologie orientale du Caire qu’en 1945. Il soutint sa thèse de doctorat sur l’Égypte et le monde égéen préhellénique en 1953. Puis ce furent ce que j’appellerai ses années nubiennes, au Soudan, qui lui permirent d’exercer, au plus haut niveau, sa compétence d’archéologue. Il revint en France en 1960, enseigna la papyrologie et l’égyptologie à l’Université de Lille et termina sa carrière comme directeur de l’IFAO. Il fut au premier rang de ceux qui eurent à cœur d’élargir vers le sud l’horizon traditionnel de l’égyptologie.

Né en 1915, M. Antoine GUILLAUMONT est décédé le 25 août 2000. Il était membre de notre Compagnie depuis 1983. Après des études supérieure à Montpellier, il fut agrégé des lettres classiques en 1943, puis son entrée en 1946 au Centre national de la Recherche scientifique lui permit de devenir un spécialiste des langues et littératures orientales chrétiennes. Cet historien des religions enseigna à la IVe et à la Ve section de l’École pratique. Il fut élu en 1977 au Collège de France, titulaire de la chaire de christianisme et gnoses dans l’Orient préislamique. Au centre de son activité scientifique se trouve l’étude des formes prises par le christianisme ancien dans les pays du Proche-Orient au contact des traditions philosophiques venues du judaïsme et de l’hellénisme. D’où ses travaux sur le judaïsme hellénistique, sur la gnose, sur le christianisme égyptien, sur Évagre le Pontique. Il a renouvelé en profondeur notre connaissances et même notre vision des premiers temps du monachisme.

M. Francis SALET est mort le 5 septembre dernier. Il était né à Paris en 1909 et était notre confrère depuis 1977. Archiviste-paléographe de la promotion de 1932, élève de Marcel Aubert, il fit une carrière dans les musées de France : le Louvre, Cluny, le musée de la Renaissance à Écouen dont il fut le fondateur. Aucun aspect de l’art médiéval ne lui fut étranger : architecture surtout religieuse, sculpture, peinture, tapisserie, orfèvrerie… Soucieux d’exactitude, il n’hésitait pas à remettre en cause, dans des études rigoureuses, les données les mieux acceptées. Il présida longtemps aux destinées de la Société d’Archéologie, responsable du Bulletin monumental et des volumes des Congrès archéologiques de France. Il œuvra puissamment à la compréhension et à la conservation du patrimoine artistique de notre pays pour la période allant du XIe au XVIe siècle, ce qui lui valut d’obtenir le grand prix national du patrimoine en 1988.

Le R. P. Édouard des Places, s. j., est décédé le 21 janvier dernier. Il était né il y a un siècle et devint notre correspondant français en 1962. Docteur en théologie, spécialiste de Platon, de Pindare, de Jamblique, de Porphyre, d’Eusèbe de Césarée, il enseigna la philosophie grecque à l’Institut catholique de Paris et à l’Université grégorienne.
M. Giuseppe Billanovich est décédé le 4 février. Il était né à Padoue en 1913. Il fut élu correspondant étranger en 1986. Après des séjours comme chercheur au Warburg Institute de Londres et à l’Université de Fribourg en Suisse, il devint en 1954 professeur de philologie du Moyen Âge et de la Renaissance à l’Université catholique de Milan, à laquelle il devait demeurer fidèle. Pétrarque et surtout la destinée médiévale de Tite-Live furent les thèmes de prédilection de ce savant familier tous les aspects de l’humanisme italien.

M. Ramon Aramon i Serra est mort en juillet dernier. Il était né à Barcelone en 1907 et était devenu notre correspondant étranger en 1979. Auteur d’éditions critiques de textes médiévaux, il s’était fait le champion de la langue, de la littérature et de la culture catalanes.
Élu correspondant étranger il y a quelques mois, M. Girolamo Susini, né en 1927, fut professeur à l’Université de Bologne. Il est mort dans cette même ville le 23 octobre dernier. Son œuvre considérable explore de très nombreux aspects des antiquités romaines.

Je salue avec respect la mémoire des disparus. Puissent leurs travaux les protéger de l’oubli.

L’Académie a eu la joie d’accueillir en son sein trois nouveaux membres.
Correspondant français depuis 1998, M. Pierre-Sylvain FILLIOZAT a été élu le 28 janvier 2000, au fauteuil de Raymond Bloch. Poursuivant l’œuvre de son père qui fut aussi des nôtres, M. Filliozat, directeur d’études à la IVe section, se situe dans la lignée de Louis Renou. Son domaine est la langue et la littérature sanscrites, la tradition grammaticale indienne et l’histoire de l’indianisme. Avec lui l’Académie dispose d’une personnalité scientifique de premier plan qui s’est attachée à comprendre de l’intérieur l’essence, l’économie intellectuelle et spirituelle de la civilisation indienne traditionnelle et s’emploie à la faire connaître.
Correspondant français depuis 1999, M. Michel ZINK a été élu au fauteuil de Félix Lecoy le 30 juin 2000. Professeur au Collège de France, M. Zink s’attache avec brio à montrer, par maintes approches, qu’il existe bien une littérature française médiévale, subtile et émouvante, avec ses codes, ses traditions, son public. A le lire, à l’écouter, on comprend mieux que, pour indispensable qu’elle soit, l’étude historique et philologique des « lettres gothiques » – je reprends ici le titre de la collection qu’il dirige – n’épuise pas leur intérêt. Il est codirecteur de la revue Romania.

Correspondant français depuis 1993, Mme Juliette de LA GENIÈRE a été élue au fauteuil de Paul Ourliac le 27 octobre. Professeur émérite à l’Université de Lille III, spécialiste des cultes grecs anciens, cette archéologue a conduit avec maîtrise les fouilles du sanctuaire d’Apollon à Claros, en Turquie, et, en Italie, les fouilles du sanctuaire d’Héra, à Paestum. D’importantes découvertes sont dues à ce savant qui s’est attaché en particulier à l’étude des contacts de civilisation entre Grecs et Barbares à l’époque archaïque.
La récente réforme de nos statuts, dont les effets bénéfiques se font désormais pleinement sentir lors de nos séances publiques comme dans le cadre feutré de nos commissions, a permis l’élection de trois associés étrangers, de huit correspondants français et d’autant de correspondants étrangers.
M. Jean Bingen, professeur honoraire à l’Université libre de Bruxelles, a été élu associé le 10 décembre 1999. Son domaine porte sur l’Égypte ptolémaïque et romaine. Il a notamment mené les fouilles du Mons Claudianus.
Le même jour, M. Calvert Watkins fut élu associé. Professeur à l’Université Harvard, président de la Société de Linguistique des États-Unis, il s’est attaché à mettre en lumière tout ce que la comparaison linguistique est en mesure de nous apprendre sur le plus ancien formulaire indo-européen et sur les mythes qui s’y sont exprimés ou le sous-tendent.
M. Girolamo Arnaldi a été élu le 25 février 2000. Professeur d’histoire médiévale à l’Université de Rome « La Sapienza », il est aussi président du prestigieux Istituto storico italiano per il Medio Evo. Les principales de ses publications portent sur l’histoire de l’Italie, de l’Église et de la papauté durant le haut Moyen Âge, jusqu’au XIe siècle.
Nos correspondants français ont tous été élus lors de la séance du 17 mars dernier, laquelle a constitué le point d’aboutissement du long travail de notre commission ad hoc.

M. Jean-Marie Durand, directeur d’études à la IVe section, occupe la chaire d’antiquités sumériennes et akkadiennes au Collège de France. Épigraphiste et archéologue, il a publié les volumes des Documents épistolaires du palais de Mari.

M. Claude Lepage, directeur d’études à la Ve section, est un spécialiste de l’Éthiopie médiévale. Il se consacre à l’étude de l’archéologie et de l’iconographie religieuse.
M. Philippe Gauthier, directeur d’études à la IVe section, y enseigne l’épigraphie et les institutions grecques. Il est responsable du Bulletin épigraphique qui paraît chaque année dans la Revue des Études grecques.

La compétence de M. Jehan Desanges, directeur d’études à la IVe section, s’étend à la géographie historique de l’Afrique du Nord romaine et à l’histoire de la géographie dans le monde gréco-romain.
Historien du droit,

M. Albert Rigaudière, professeur à l’Université de Paris III (Panthéon-Assas), est un spécialiste des rouages de l’État monarchique et des sociétés et des institutions urbaines dans la France des derniers siècles du Moyen Âge.

Les travaux de Mme Geneviève Hasenohr, directeur d’études à la IVe section, codirecteur de la revue Romania, ont mis en valeur l’intérêt de l’abondante littérature de dévotion en langue française de nos XIVe et XVe siècles – un continent jusqu’alors mal connu et négligé.

M. Charles de Lamberterie enseigne l’histoire de la langue grecque à l’Université de Paris-Sorbonne en même temps que la grammaire comparée des langues indo-européennes à la IVe section.

M. Philippe Gignoux a une direction d’études à la Ve section qui porte sur les religions de l’Iran ancien. Il est responsable des Studia iranica et de la collection des « Sources pour l’Histoire de l’Asie centrale préislamique ».

Ce fut le 23 juin, au cours d’un comité secret – puisque telle est l’expression consacrée – qu’eut lieu l’élection de ce que j’appellerais de façon un peu cavalière notre fournée de correspondants étrangers.
M. John Baldwin, professeur à l’Université Johns Hopkins de Baltimore, a beaucoup publié sur la France des XIIe-XIIIe siècles : Pierre le Chantre, le gouvernement de Philippe Auguste, l’histoire des femmes. L’Académie lui doit l’édition dans l’une de ses collections des Registres de Philippe Auguste.
M. Oscar Botto, professeur à l’Université de Turin, est l’un de maîtres de l’indologie sanskrite. Les services qu’il a rendus à cette discipline sont éminents.

M. Thomas James est un égyptologue de renom, qui a été longtemps Keeper of the Egyptian Antiquities du British Museum.
M. Denis Knoepfler enseigne l’archéologie classique, l’épigraphie, la philologie et l’histoire ancienne à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Neuchâtel. La Béotie et l’Eubée constituent ses espaces de prédilection.
M. Michael Screech, fellow de Wolfson College à Oxford, doit sa notoriété à ses travaux fondamentaux sur Rabelais et Montaigne.
L’enseignement de M. Nicholas Sims-Williams, jeune et brillant professeur à l’Université de Londres, porte sur l’Iran et l’Asie centrale. Il est le grand spécialiste de la langue sogdienne.
M. Heinrich von Staden enseigne l’histoire de la culture et de la science dans la Grèce ancienne à l’Institute for Advanced Studies de Princeton. Il s’intéresse notamment à Hippocrate et Galien.

En dépit de cette liste fournie, il serait faux de penser que notre activité se soit bornée à scruter, à jauger, à soupeser les mérites scientifiques de tous ceux et celles dont nous estimons non seulement qu’ils feront honneur à l’institution et étendront son rayonnement mais encore qu’ils accroîtront nos forces, cela dans l’idée de moins en moins utopique que tous les savoirs relevant de nos compétences devraient disposer au sein de notre Compagnie d’une caution, d’un expert, voire d’une tribune. La délicate liturgie des élections n’a pas absorbé toutes nos énergies, il s’en faut de beaucoup.

Notre vocation première, rappelons-le, est en effet de promouvoir, à l’intérieur du vaste espace et de la longue période qui sont de notre ressort, la saine érudition, à une époque où la légitimité de cette démarche n’est mise en cause que par des esprits pressés, de faire connaître, voire de sanctionner, sinon de consacrer, des découvertes, des avancées majeures ou mineures dans le domaine de l’archéologie et de l’histoire de l’art, de l’épigraphie, de la codicologie, de l’archivistique, de la philologie, de la linguistique, de l’histoire tout court, de mettre en valeur les nouvelles orientations de la recherche et aussi de poursuivre inlassablement la publication de travaux de longue haleine destinés à prendre place dans telle ou telle de nos collections. Autant dire que les missions plurielles de l’Académie, grâce à ses ressources propres et à l’esprit qui l’anime, ne font pas double emploi avec les entreprises menées par d’autres organismes. Une expérience de dix ans au sein de l’Académie me persuade qu’elle offre un carrefour d’informations, qu’elle constitue, dans son domaine, un lieu vivant de rencontres et de contacts.

Notre activité éditoriale ne s’est pas ralentie au cours de l’année écoulée. Qu’on en juge par la sèche énumération qui va suivre. Sont sortis sans retard les quatre fascicules des Comptes rendus des séances 1998- 1999 et les deux fascicules du Journal des Savants. Le tome LXXVIII des Monuments Piot est paru au printemps. Ont été publiés les tomes XIX et XX des Mémoires de l’Académie. L’un, dû à notre confrère Georges Le Rider, a pour titre Antioche de Syrie sous les Séleucides. Corpus des monnaies d’or et d’argent. I, De Séleucos Ier à Antiochos V, l’autre, dû à M. André Berthier, s’intitule Tiddis, cité antique de Numidie. La série des obituaires du Recueil des Historiens de la France s’est enrichie du volume de M. Jean-Loup Lemaître consacré au Livre du chapitre des célestins de Marcoussis. Grâce à la diligence de M. Provost et des ses collaborateurs, deux copieux fascicules de la Carte archéologique de la Gaule ont paru, l’un sur le Gard, l’autre sur le Var.
L’année 2000 a été marquée par la publication en trois volumes de l’imposant Corpus des Inscriptions méroïtiques, sous la direction de notre Secrétaire perpétuel, avec l’aide de Mme Catherine Berger el-Naggar et de MM. André Heyler, Claude Carrier et Claude Rilly. M. Etienne Bernand a publié le tome III, A des Inscriptions grecques du Recueil des Inscriptions de l’Ethiopie des périodes préaxoumites et axoumites. Enfin l’Académie s’est associée à l’Académie roumaine et à l’Institut d’Archéologie Vasile Pârvan pour publier, en français, le volume III, dû à Alexandru Avram, des Inscriptions grecques et latines de Scythie mineure ainsi que, par Pierre Alexandrescu, L’aigle et le dauphin. Études d’archéologie pontique.

Il convient que j’arrête là un rapport nécessairement aride pour laisser toute leur place aux discours que vont prononcer mes éminents confrères et que notre Secrétaire perpétuel va vous présenter. Certes, il ne me revient pas en tant que président d’accorder ou de refuser un satisfecit à l’Académie pour ses travaux de l’an 2000. Je soulignerai seulement que, tout en demeurant fidèle à ses usages et attachée à ses références, bref tout en gardant la ligne, notre Compagnie n’entend pas privilégier outre mesure le principe d’inertie. Témoin l’élargissement de son recrutement qui lui a permis à un rythme inaccoutumé de se renouveler et de se rajeunir.