Publications Le Décret de Memphis

Le Décret de Memphis
Prix : 18 €

Colloque de la Fondation Singer-Polignac à l’occasion de la célébration du bicentenaire de la découverte de la Pierre de Rosette (Paris, 1er juin 1999).

Sous la direction de D. VALBELLE et de J. LECLANT.

50 pages, 14 illustrations

Année de parution : 1999

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Présentation

Extraits

Allocution d’ouverture

Mesdames, Messieurs, chers Amis, Nous sommes aujourd’hui réunis pour célébrer, dans le cadre prestigieux de la Fondation Singer-Polignac, le bicentenaire de la découverte de la Pierre de Rosette. En effet, en raison des très nombreuses manifestations qui se sont déroulées l’an dernier – année bénie pour les égyptologues puisque placée sous le signe, des « Horizons partagés » depuis deux siècles entre la France et l’Egypte -, on aurait pu croire qu’aucun événement mémorable n’avait été laissé de côté ; et ce, d’autant plus que depuis 1972, année du cent cinquantenaire de la célèbre Lettre à M. Dacier de Champollion, année qui vit la Pierre de Rosette quitter momentanément le British Museum de Londres pour le musée du Louvre, toute une série de manifestations se sont succédé, commémorant chacune telle ou telle date d’un destin hors du commun, celui du génial déchiffreur des hiéroglyphes : naissance, Lettre à M. Dacier, décès. Il demeurait pourtant un épisode méritant que l’on s’y intéressât : celui de la découverte de la fameuse Pierre, à la mi-juillet 1799. Au vrai, bien qu’on ait pu penser que tout avait été dit sur la Pierre de Rosette, il reste beaucoup à faire. Ne serait-ce d’abord que de rappeler comment sa découverte s’inscrit dans le cadre de la célèbre épopée scientifique que fut l’Expédition d’Égypte (Juillet 1798-octobre 1801). Évoquons quelques moments la mémoire de Pierre-François-Xavier Bouchard, son heureux inventeur, alors lieutenant de 2e classe, c’est-à-dire sous-lieutenant. Fils d’un menuisier du Jura, réquisitionné dans les armées révolutionnaires en 1793, le jeune homme avait été versé en août 1794 dans la 2e Compagnie d’aérostiers stationnée à Meudon avant de rejoindre comme sous-directeur et professeur de mathématiques l’École nationale d’Aérostatique ; celle-ci était dirigée par l’ingénieur Nicolas Conté, demeuré célèbre entre autres pour l’invention de la mine de plomb ; il est sans doute inutile de rappeler le rôle que, depuis la victoire de Fleurus, les ballons étaient appelés à jouer sur les champs de bataille ; pour des raisons de nature militaire mais aussi de prestige et de nouveauté, l’armée de Bonaparte ne négligea pas l’usage des montgolfières. C’est cependant en tant qu’élève de l’École polytechnique, où il était entré en 1796, que Bouchard devait prendre part à l’Expédition d’Egypte parmi ces quelques « savants » qui accompagnèrent les troupes armées – dont un certain nombre n’était encore que de tout jeunes polytechniciens qui passeront leur examen de sortie au Caire, en octobre-novembre 1798, sous la présidence de Monge. Affecté comme sous-lieutenant dans le corps des officiers du génie, Bouchard, placé sous les ordres du commandant Dhautpoul, sera chargé d’aménager un vieux fortin sis à Rachid (que nous francisons en Rosette), sur la rive gauche de la bouche bolbitique du Nil ; on se préparait en effet à l’éventualité d’un débarquement anglais, qui aura finalement lieu à Aboukir. A la mi-juillet 1799 (le 19 juillet dit-on généralement, mais la date est en fait difficile à préciser), tandis que l’on déblayait les fondations de l’ancienne forteresse, notre jeune officier se trouva face à un bloc de « pierre noire » ; dépassant un mètre de hauteur, il conservait dans sa partie supérieure, cassée, un texte hiéroglyphique, suivi par un texte en écriture cursive (le « démotique ») et une inscription en grec. L’ingénieur des Ponts et Chaussées Lancret, en mission sur les lieux en fut informé · il écrivit à l’Institut d’Egypte une lettre qui fut lue lors de la 31e séance, le 11 thermidor an VII ( = 29 juillet 1799) ; la nouvelle fut annoncée dans le numéro 37 du Courier (sic) de l’Égypte, du 11 septembre 1799 ; entre-temps, à la mi-août, la Pierre était parvenue au Caire et remise à l’Institut d’Egypte. (…) Jean LECLANT.

 

Le démotique et le déchiffrement de la Pierre de Rosette

Traiter du démotique et du déchiffrement de la Pierre de Rosette peut, au premier abord, donner l’impression d’une redite. Je commencerai, en effet, par l’évocation de divers travaux que j’ai publiés afin de marquer quelques jalons à l’étude de cette question. Je me concentrerai, dans un deuxième temps, sur certains détails du débat concernant la lecture des hiéroglyphes et du démotique à ses débuts, cela à l’aide de notes laissées par Jean-François Champollion et de quelques contributions publiées durant les premières années de l’égyptologie.l. Les travaux passésLe terme « démotique » est aujourd’hui appliqué à l’écriture médiane de la Pierre de Rosette, qui est une cursive de l’égyptien ancien ; le même vocable sert à désigner également la langue égyptienne véhiculée par cette écriture. Celles-ci apparaissent en Égypte avec l’avènement de la dynastie saïte (664 av. J.-C.) ; plus précisément, le plus ancien texte de tradition démotique connu à ce jour est une stèle datée de l’an 8 du pharaon Psammétique Ier (657 av.J.-C.). Lécriture démotique connaît trois phases principales dans son évolution : le démotique archaïque correspond à l’époque des dernières dynasties indigènes et des deux occupations perses (jusque 332 av. J.-C.) ; le démotique ptolémaïque est la période classique de cette cursive (jusque 30 av. J.-C.) ; le démotique romain en est la période de déclin. Ce découpage n’est pas artificiel et pourrait, comme je l’ai suggéré, être lié aux conditions politiques et économiques de ces trois phases de l’histoire. Dans cette optique, la Pierre de Rosette appartient à la période classique du démotique : daté du 27 mars 196 av. J.-C. (an 9 de Ptolémée V Epiphane), ce décret s’inscrit dans une tradition documentaire officielle bien connue pour cette époques.L’écriture hiéroglyphique et la langue qui occupent le premier registre de l’inscription de la Pierre de Rosette sont appelées « ptolémaïque » par les égyptologues. Elles consistent, d’une part, en un système d’écriture complexifié et enrichi par rapport à celui des époques antérieures et, d’autre part, en une langue morte dite « de tradition », inspirée de l’égyptien classique du Moyen Empire. Les prêtres-scribes de l’époque ptolémaïque nommaient les hiéroglyphes de leur temps « écriture sacrée » et le démotique « écriture du pays (enchoriale) ». Cette distinction entre écriture sacrée et écriture populaire avait déjà été faite par Hérodote (II, 36), qui visita l’Egypte aux alentours des années 450-440 av. J.-C., sous le règne d’Artaxerxès Ier, c’est-à-dire à l’époque du démotique archaïque. (…) Didier DEVAUCHELLE

 

Bilinguisme et traductions

Si l’invention, il y a deux siècles, du premier document bilingue gréco-égyptien n’a pas pu à elle seule redonner la parole aux anciens Égyptiens, elle fut bien du moins le moteur de cette résurrection, ne serait-ce que par l’intérêt et l’espoir qu’elle suscita dans les milieux intellectuels de l’Europe des Lumières. Ainsi, ce fut le bilinguisme d’une partie au moins de la société ptolémaïque qui permit à la science philologique européenne de pénétrer les mystères de l’Égypte pharaonique. Ce bilinguisme qui fit tout l’intérêt de la Pierre de Rosette mérite d’autant plus d’être défini et situé dans son contexte historique et culturel. Bilinguisme ou trilinguisme ? Les trois écritures du décret de Memphis et des autres décrets sacerdotaux ptolémaïques n’en font pas à proprement parler des textes trilingues – au sens où la stèle du préfet Cornelius Gallus est effectivement trilingue (latin, grec, égyptien) – mais plutôt des doubles bilingues. Il faut en effet répartir les trois versions de ces décrets en deux couples : hiéroglyphique-démotique d’un côté, égyptien-grec de l’autre. Ces deux couples ne sont certes pas équivalents car chacun d’eux exprime une histoire propre et traduit une tension socio-culturelle différente. L’opposition entre hiéroglyphique et démotique est la conséquence à la fois de l’ancienneté et du conservatisme de la culture pharaonique. Le système hiéroglyphique, pratiquement fixé dans ses grandes lignes dès le début de l’Ancien Empire, transcrit sous les Ptolémées une langue morte, parente de celle effectivement parlée aux environs de 2000 av. notre ère, l’égyptien classique ou moyen-égyptien. Le démotique, cursive développée en Basse-Egypte aux VIIe-VIe siècles av. J.-C. à partir de l’écriture hiératique (elle-même adaptation cursive des hiéroglyphes), note une langue aisément intelligible pour ses utilisateurs car proche de l’idiome alors en usage. Il s’est en conséquence imposé dans toute l’Egypte comme l’écriture de l’administration, ainsi que des transactions et de la correspondance privées, au cours d’un long processus initié sous le premier Psammétique et achevé sous Amasis. Contrairement au hiératique, l’écriture démotique est une écriture autonome, complètement dégagée des hiéroglyphes, et peut être apprise sans se référer à ces derniers. L’usage de ces deux écritures sur la Pierre de Rosette, correspondant chacune à un état de la langue égyptienne, n’a donc rien de fortuit. La culture indigène de l’Egypte des quatre derniers siècles avant notre ère est bel et bien double : d’une part la science des hiérogrammates dont on admire la manifestation monumentale sur les parois des temples d’Edfou, de Korn Ombo ou de Philae, qui s’exerçait toujours aussi sur les monuments commémoratifs privés (stèles funéraires, statues), et dont l’érudition traditionnelle s’exprimait également en hiératique dans les nombreux papyrus conservés au sein des bibliothèques sacerdotales ; d’autre part ce qu’on peut désigner comme la culture démotique (qui n’a rien de populaire), d’origine essentiellement juridique puisque le démotique avait été choisi par les rois saïtes comme la langue et l’écriture de leur oeuvre législative, mais également une culture étendue à tous les domaines d’expression autres que religieux, funéraire ou monumental. (…) Michel CHAUVEAU

 

Ptolémées et Temples

Cette conférence tire sa source de l’examen des décrets trilingues lagides, et en particulier de ceux de Canope et de Memphis, datés respectivement de 237 av. J.-C et de 186 av. J.-C. Dans un premier temps, je m’appliquerai à démontrer que ces décrets – d’après leur composition, la terminologie qu’ils utilisent, mais aussi l’idéologie qu’ils sous-tendent – ressortissent pour l’essentiel aux textes honorifiques grecs, non sans emprunter d’ailleurs des traits propres à une certaine couleur locale égyptienne. Poursuivant sur cette voie, je formulerai, dans un deuxième temps, un certain nombre d’arguments permettant d’identifier les auteurs de ces décrets, les prêtres égyptiens à la tête du clergé ; ceux-ci, en effet, parce qu’ils appartenaient aussi à la classe dirigeante de l’administration lagide, étaient à l’évidence suffisamment hellénisés pour être capables de rédiger sans aide extérieure des textes grecs de caractère officiel. Enfin, dans un dernier temps, je montrerai qu’aucun élément de ces textes ne permet de se prononcer sur une quelconque diminution du pouvoir royal à l’époque, pas plus d’ailleurs que sur une égyptianisation des Ptolémées. (…) Willy CLARYSSE

 

Les décrets égyptiens et leur affichage dans les temples

La documentation antérieure à l’époque lagide qui nous est parvenue renferme un certain nombre de documents que les égyptologues considèrent comme des décrets. Nous ne reviendrons pas ici sur la justesse du terme de décret qui a été souvent discutée. Quelques-uns sont conservés sur leur support original, le papyrus, mais la plupart sont« affichés », c’est-à-dire gravés sur des stèles, les murs de temples ou de tombeaux, ou encore sur des rochers, de manière à être consultables, soit par les personnes directement concernées par ces dispositions, soit par le plus grand nombre.l. L’autorité émettriceJusqu’à la fin du Nouvel Empire, ces décrets émanent essentiellement du roi qui « ordonne » (wd.) leur exécution, quel que soit l’objet du décret. C’est du moins l’impression que nous retirons de la documentation, assez large mais très disparate, qui nous est parvenue. Exceptionnellement cette prérogative peut être étendue à un proche du roi, comme la reine-mère Ahhotep II au début de la XVIIIe dynastie, qui est qualifiée de « jrt sljrw », c’est-à-dire, ainsi que G. Posener l’a démontré, qui a capacité de prendre des décisions, de donner des ordres. Mais, au Moyen Empire, les Égyptiens se réfèrent volontiers dans les textes, à propos du roi, aux décrets des dieux, comme dans cette stèle du Ouadi el-Houdi où Hor, le chef d’expédition aux mines d’améthyste, dit de Sésostris Ier : « Geb lui a accordé par décret ce qu’il tenait caché. » Le même roi prétend, sur le parchemin de Berlin, parlant du dieu Horakhty pour lequel il projette d’élever un nouveau temple à Héliopolis :« Il m’a engendré pour faire ce qu’il avait fait, pour accomplir ce qu’il avait ordonné de faire.» Dans sa stèle d’Abydos, Néferhotep Ier déclare, faisant allusion aux dieux de l’Ennéade : « avoir agi selon leur décret », à quoi les courtisans répondent : « C’est ton ka qui a décrété ce qui arrive, Souverain, mon maître ! Que ta Majesté se rende aux Archives et ta Majesté (pourra) consulter les paroles du dieu. » Séthi Ier développe la même idée sur les murs du temple d’Horus au Ouadi Mia : « Une autre bonne initiative qui me vint à l’esprit par ordre du dieu fut de faire une fondation avec un sanctuaire à l’intérieur, car vénérable est une agglomération qui possède un temple. J’ai fait construire un sanctuaire à cette place au grand nom de mes ancêtres les dieux. » Les décrets royaux sont l’expression des décrets divins dont ils s’inspirent. Nous avons là un thème récurrent de l’idéologie monarchique égyptienne : les souverains, héritiers des dieux, s’efforcent de se comporter selon ce modèle originel, soit à l’initiative même des dieux, soit en consultant les archives qui remontent à l’époque de leur règne sur terre. (…) Dominique VALBELLE

 

Inscriptions multilingues d’époque achéménide : le texte et l’image

J’ai tout lieu de craindre que mon intervention ne s’insère que sous forme périphérique et indirecte au programme de cette journée consacrée à des réflexions sur un célébrissime document égyptien – disons plutôt : égypto-lagide -, apparemment bien éloigné de mes obsessionnelles préoccupations achéménides. A seule fin de me libérer de mes scrupules, j’ai cherché à justifier ma présence et mon intervention à cette tribune en recourant à quelques observations que je soumets en préambule, dans l’espoir que l’on veuille bien les considérer comme des justifications scientifiques recevables :

  • (i) Je note tout d’abord que les « Mèdes » ne sont pas absents de la prose ptolémaïque sur pierre et sur papyrus. Les « Mèdes », c’est-à-dire en réalité une image en général peu aimable des Perses et de la période de la domination achéménide. Qu’il me suffise d’évoquer d’un mot les allusions à la fois directes et équivoques contenues dans la Chronique démotique, mais aussi les nombreuses références faites par les Ptolémées, sous forme d’éloges répétitifs, au rapatriement des milliers de statues et d’objets cultuels que les Perses auraient dérobés aux sanctuaires égyptiens et emportés avec eux dans leurs capitales. Bien affirmé déjà dans la Stèle du satrape, ce topos littéraire et politique se retrouve exprimé, on le sait, dans l’inscription d’Adoulis et dans le décret de Canope.
  • (ii) Deuxième observation : l’on pourrait aussi multiplier les rapprochements et analogies entre l’histoire du déchiffrement de l’écriture hiéroglyphique et celle du déchiffrement du cunéiforme. Dans l’un et l’autre exemples, les basilonymes grecs – qui, dans le cas de l’inscription trilingue de Rosette, font partie du document lui-même – ont offert aux pionniers une première clef et donc une première entrée, même étroite, à des documents jusqu’alors rebelles à toute interprétation. L’on pourrait ajouter que, d’un cas à l’autre, les débats et polémiques scientifiques et politiques ont fleuri avec profusion et parfois avec âpreté de part et d’autre du Channel. Déjà aux prises avec des contestations venues d’Irlande, le Major Rawlinson, qui publia le premier en 1846 une édition-traduction de la version perse de l’inscription trilingue de Behistoun, déclare tout simplement que, grâce à lui, l’Angleterre a pu reprendre, dans le domaine des études paléographiques, une place de premier plan qu’elle avait abandonnée presque entièrement aux continental scholars.
  • (iii) Enfin, et plus important sans aucun doute : même si l’usage du multilinguisme n’est pas une chose complètement nouvelle en Égypte (que l’on songe simplement aux tablettes cunéiformes d’El-Amarna, aux différentes versions du traité égypto-hittite, ou, ultérieurement, aux inscriptions d’époque saïte), il s’est à coup sûr particulièrement implanté en Égypte à l’époque achéménide : inscriptions et écrits en hiéroglyphique, en démotique, en hiératique côtoient les inscriptions cunéiformes, grecques, cariennes, araméennes, pour ne pas parler des bilingues, des trilingues et des quadrilingues. Ou, plus exactement, j’évoquerai ces documents multilingues dans une deuxième étape de mon propos. Je voudrais tout d’abord présenter certaines des caractéristiques politiques et culturelles de l’empire achéménide dans son ensemble qui, seules, peuvent permettre de replacer le multilinguisme d’Égypte achéménide dans un contexte plus large qui lui donne sens. (…) Pierre BRIANT

 

Le basileus et les prêtres égyptiens

Dans toute civilisation ayant connu à ses débuts une séparation entre pouvoir et culte, cette division a toujours influé de manière considérable sur son histoire. Il semble alors que pouvoir et culte aient sans cesse cherché à surmonter la scission initiale afin de retrouver l’unité perdue ; car, s’il est vrai que le pouvoir aspire à la sacralisation, le culte, lui, est en quête d’influence. Pour ne pas se placer de prime abord dans le cadre de la problématique bien connue des rapports entre l’Etat et l’Eglise dans l’Occident chrétien, je me permettrais d’illustrer mon propos par un exemple sans lien aucun avec l’Europe, ni même avec l’Asie occidentale, puisqu’il s’agit du Japon. En 604 ap. J.-C., le prince japonais Shotoku, en édictant la Constitution des dix-sept Articles, justifiait, entre autres, la conception selon laquelle le tenno, en tant que « fils du ciel », non seulement tirait sa légitimité de droit divin, mais aussi faisait figure de chef d’État investi d’un pouvoir absolu. Après le règne de Shotoku, le bouddhisme ayant pris de plus en plus d’ampleur au Japon, l’apogée de cette évolution, initiée au VIIe siècle, sera atteinte au moment où – environ un siècle et demi après le règne de Shotoku – le prêtre et chancelier Dokyo portera atteinte au rang du tenno. Et ce dernier fut sur la point de réussir son entreprise ! Pouvoir et culte ! Pouvoir aspirant à la sacralisation et culte avide de pouvoir ! Telle était la situation dans le Japon médiéval. Et en Égypte ? En principe, il n’en fut pas autrement. Que l’on songe ici à l’épisode amarnien ou que l’on considère seulement la ville de Thèbes, le Tempelstaat par excellence. De fait l’idéologie royale constituait l’une des constantes de la théorie politico-religieuse développée dans l’Egypte pharaonique, et il en était toujours de même à l’époque ptolémaïque. D’ailleurs, il semble que la conception de la royauté idéale ait été sous les Ptolémées « mit orthodoxer Strenge konserviert », tout en étant cependant « um neue Elemente bereichert », si l’on se réfère, entre autres, aux nombreux textes et figurations ornant les murs des temples de l’époque. Reste à savoir ce que recouvre l’expression d’« idéologie royale ». En quelques mots, cette dernière signifie « Einheit von Herrschaft und Heil », unité du pouvoir et du culte, unité politique et religieuse, unité de l’ « État » et de l’ « Église ;>. Pour formuler les choses de manière quelque peu exagérée : l’« Etat » est « Eglise » et l’« Eglise » est« Etat ». Le roi se trouvait placé au centre du système de valeurs évoqué ci-dessus. En tant qu’« Horus » et que « fils de Râ », il était en effet seul capable d’accomplir le transfert du divin dans le monde humain, condition sine qua non pour que l’ordre, la prospérité et le salut soient assurés. Mais, pour que tout se déroule convenablement, son office cultuel devait s’accomplir conformément à des règles précises fixées par les rites. C’est en effet dans ce cadre qu’il était à la fois le représentant des dieux face aux hommes et des hommes face aux dieux ; il était même leur unique représentant. Néanmoins, puisque, pour des raisons psycho-religieuses, un grand nombre d’actions rituelles s’avéraient nécessaires, alors même que le roi ne pouvait être omniprésent, ce dernier avait besoin de recourir à des assistants : les prêtres. Ceux-ci ne pouvaient cependant agir qu’en son nom. Ainsi, roi et prêtres étaient unis par le sentiment d’une identité corporative, qui perdura à l’époque ptolémaïque. (…) Werner HUSS

 

La science sacerdotale

Vers 200 ap. J.-C., Clément d’Alexandrie présente un résumé des compétences différenciées des prêtres égyptiens. Il note tout d’abord que « les Égyptiens ont une certaine science autochtone (…) comme le laisse surtout apparaître leur exercice solennel du culte ». Puis il donne la liste des prêtres qui, par ordre d’importance, participent à une procession, probablement celle d’Osiris à Alexandrie, tout en décrivant leurs enseignes de métier et en spécifiant leur savoir afférent à un ensemble de quarante-deux « livres d’Hermès » – c’est-à-dire de Thot, le dieu savant. En tête apparaît le chanteur qui connaît par cœur deux livres d’hymnes et de gestes royaux, puis vient l’astrologue, spécialiste de quatre livres astronomiques sur le soleil, la lune et les autres astres.Ils précèdent trois prêtres maîtrisant chacun le contenu de dix livres : l’hiérogrammate qui est versé dans les écrits dits « hiéroglyphiques » – ceux qui réunissent les éléments des connaissances sacerdotales ; le stoliste, compétent pour le service du culte ; le prophète enfin, préposé au temple, expert pour les livres dits « hiératiques » – ceux qui se rapportent aux dieux, à l’administration du temple et à l’éducation des prêtres.Cinq prêtres sont donc compétents pour « trente-six livres, qui comprennent toute la science des Égyptiens », se limitant, au demeurant, à des connaissances sur le ciel et la terre sous l’horizon de l’Égypte, et en particulier sur toutes celles qui concernent les temples. Puis Clément mentionne encore les pastophores, experts de six écrits médicaux sur la constitution du corps, les maladies, les organes et les médicaments, l’ophtalmologie et la gynécologie – écrits non recouverts par le terme de « science des Égyptiens ».À l’exception des deux groupes de dix livres « hiéroglyphiques » et « hiératiques », rien n’est indiqué sur l’écriture des autres. Dans ce contexte, il est cependant légitime de supposer que leur composition fut différente et que des textes démotiques pouvaient y être inclus. L’ensemble canonique des quarante-deux « livres de Hermès » et sa composition détaillée ne sont pas encore confirmés par des sources égyptiennes, mais il existe deux lots d’archives de papyrus égyptiens, à peu près contemporains, en provenance du milieu sacerdotal, qui se prêtent à la comparaison. A défaut d’être publiés dans leur ensemble, ils sont assez connus pour que l’on puisse donner une ébauche préliminaire de leur contenu. L’un d’eux provient du Fayoum ; il a été retrouvé à Tebtynis dans une maison – sans doute celle d’un prêtre – sise à l’intérieur de l’enceinte du temple de « Soukhos, seigneur de Tebtynis ». Ces archives, aujourd’hui dispersées dans plusieurs collections, comprennent les restes de plusieurs centaines de papyrus ; quelques-uns ont subsisté sous forme de rouleaux, mais le plus souvent ils se présentent dans un état très fragmentaire. Pour la plupart, les papyrus sont écrits en démotique, mais aussi en hiératique, en hiéroglyphique et en grec. Les textes ne laissent aucun doute sur le fait que ces archives immenses et variées aient pu constituer la « Maison de vie » du temple – qui faisait office à la fois de bibliothèque, de scriptorium et d’école. (…) Jürgen OSING

Tables des matières

  • Allocution d’ouverture, par Jean Leclant

 

  • Le démotique et le déchiffrement de la Pierre de Rosette, par Didier Devauchelle

 

  • Bilinguisme et traductions, par Michel Chauveau

 

  • Ptolémées et Temples, par Willy Clarysse

 

  • Les décrets égyptiens et leur affichage dans les temples, par Dominique Valbelle

 

  • Inscriptions multilingues d’époque achéménide : le texte et l’image, par Pierre Briant

 

  • Le basileus et les prêtres égyptiens, par Werner Huss

 

  • La science sacerdotale, par Jürgen Osing

 

  • Débats et conclusions, par Dominique Valbelle

 

Les participants

 

  • Pierre BRIANT, Professeur au Collège de France

 

  • Michel CHAUVEAU, Directeur d’études à l’École pratique des Hautes études, IVe section

 

  • Willy CLARYSSE, Professeur à l’Université catholique de Leuven

 

  • Didier DEVAUCHELLE, Chargé de recherche au C.N.R.S., Professeur à l’Université de Genève

 

  • Werner Huss, Professeur à l’Université de Bamberg

 

  • Jürgen ÜSING, Professeur à l’Université libre de Berlin

 

  • Jean LECLANT, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Professeur honoraire au Collège de France

 

  • Dominique VALBELLE, Professeur l’Université de Lille III

 

 

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