Fouilles archéologiques Mission archéologique « Italie du Sud »

Mission archéologique « Italie du Sud »

La Mission archéologique « Italie du Sud » a été créée en 2000. Dès sa création, elle n’a pas été attachée à un site en particulier, mais elle a été conçue comme un soutien du ministère des Affaires étrangères aux recherches archéologiques françaises effectuées en Italie méridionale. Depuis le début, la Mission a concentré ses travaux sur deux thématiques en synergie avec les axes du projet scientifique du Centre Jean Bérard, USR 3133 du CNRS et de l’École française de Rome : la colonisation grecque et ses conséquences sur l’évolution des sociétés indigènes et la vie économique à travers les techniques et les implantations artisanales.

 

Premiers résultats

Le premier axe était nourri par les fouilles de Cumes (Campanie), considérée comme la plus ancienne des colonies grecques d’Occident, d’Arpi (Pouilles), une cité daunienne très réceptive à la culture grecque, et l’Incoronata (Basilicate), une « préface » de la colonisation grecque en Lucanie. Le deuxième axe portait sur l’étude de l’artisanat à Pompéi afin d’établir dans ce site archéologique si bien préservé les critères d’identification des vestiges d’activités artisanales. Ces deux programmes sont arrivés à maturité et ont produit de nombreuses publications ; il apparaît désormais que de nouvelles perspectives se font jour qui permettent de synthétiser l’ensemble de ces recherches selon un axe commun et nouveau : « Au seuil de la ville : organisation, aménagement et gestion des milieux urbains et périurbains en Italie du Sud dans l’Antiquité ».

Au cours des deux derniers quadriennaux (2012-2019), les recherches de la Mission ont porté sur quatre sites, parmi les plus emblématiques de la Méditerranée, qui ouvrent chacun une fenêtre spécifique sur les formes et les modes d’occupation des espaces habités en Italie du Sud : une cité, Cumes (Campanie), une cité grecque, avant de devenir osque puis romaine ; un centre daunien, Arpi (Pouilles), qui se structure à partir du VIe siècle par l’implantation d’un agger renfermant dans une superficie de 1000 ha des nécropoles, de l’habitat et d’amples espaces vides ; un site oenôtre, Incoronata (Basilicate), où on assiste à l’époque archaïque à une cohabitation entre indigènes et Grecs ; enfin une ville, Pompéi, italique, puis romaine, dont le destin tragique, l’ensevelissement par l’éruption du Vésuve en 79 de n. è., a assuré la conservation et la célébrité d’une stratification urbaine peu commune. Autant de cas qui nous permettent de traiter, dans la comparaison, les rythmes, les formes et les limites de la ville antique.

 

Celle-ci commence à Cumes, où les fouilles ont mis au jour des sépultures de l’âge du Fer (IXe–VIIIe s.), un sanctuaire grec extra-muros daté entre le VIIe et le Ier siècle av. J.-C., une nécropole hellénistique et romaine, un espace artisanal tardo-antique, une « maison-tour » du Bas Moyen-Âge et une ferme du XVIIIe siècle après. La nécropole septentrionale comprend plusieurs centaines de tombes et plus de 80 monuments funéraires qui scandent l’évolution entre le IVe siècle av. J.-C. et le IVe siècle ap. J.-C. Ces résultats intéressent aussi l’histoire de la ville, car la nécropole est un reflet du monde des vivants et de leur prospérité. La stratigraphie, qui atteint par endroits une puissance de 7 m de hauteur, permet de replacer les évolutions s’étageant du IXe siècle av. J.-C. au XVIIIe siècle ap. J.-C., dans un schéma d’ensemble qui est relié à l’évolution architecturale de la porte dite « Médiane ». C’est toute l’histoire antique de la Campanie qui se manifeste dans ces vestiges depuis les populations italiques, les Opiques, les colons grecs, puis des vainqueurs samnites à la fin du Ve siècle av. J.-C., suivis de ceux de l’intégration dans la cité romaine, des épisodes de la guerre des Goths au VIe siècle de notre ère, jusqu’à la destruction de la ville au XIIIe siècle par le Duché de Naples.

 

Les dimensions insolites de l’agglomération d’Arpi, qui recouvrent environ 1000 ha, identifiée grâce à l’interprétation de la photo aérienne par J. Bradford après la seconde guerre mondiale, et connue dans l’Antiquité comme une des deux plus grandes cités italiotes, en raison de son enceinte nécessitait d’opérer sur plusieurs échelles et sur plusieurs fronts en mobilisant différentes approches. Pour cerner les formes et les étapes de l’émergence du fait urbain en relation avec l’environnement, à travers l’organisation de quartiers d’habitation et la distribution des nécropoles, la Mission archéologique s’est appuyé sur la collaboration avec l’Université de Salerne et la SABAP de Foggia. Depuis l’origine ce programme associe une enquête d’archéologie des paysages fondée sur une approche archéomorphologique, géomorphologique et géophysique, couplée à des prospections pédestres, à l’étude topographique, stratigraphique et matérielle des contextes mis au jour par les fouilles anciennes conduites sous la responsabilité de la Surintendance entre le début de la seconde guerre mondiale et la fin des années 1990, en vue de l’actualisation des découvertes dans une base géoréférencée.

 

Incoronata se caractérise comme lieu éminent d’un territoire occupé par les communautés indigènes entre IXe et VIIIe siècle av. J.-C., lesquelles reçurent et accueillirent une communauté grecque, provenant de l’Égée, pendant le VIIe siècle. Les fouilles menées depuis plusieures années sur ce site ont permis de mettre au jour un établissement caractérisé par une mixité dont témoignent des vestiges, remarquablement conservés, relevant d’une importante activité rituelle connectée à des cultes à caractère chtonien et d’une production de la céramique. Expression monumentale de l’hégémonie des aristocraties œnôtres, Incoronata dominait un territoire « périurbain » et à la fois « protourbain », qui verra la fondation de la ville de Métaponte seulement à la fin du VIIe siècle, tandis que Sybaris, au sud, et Tarente, au nord, existaient déjà depuis un siècle. En ce sens, ce site constitue un laboratoire historico-archéologique privilégié pour éclairer les phénomènes de rencontre et de partage de connaissances, de techniques, d’idéologies et de cultures entre communautés autres dans l’Italie méridionale à l’âge du Fer, au moment exact du processus historique de la construction de la polis.

 

À Pompéi, la Mission archéologique a concentré ses recherches sur l’histoire de l’artisanat antique. Les traces laissées par les tisserands, les teinturiers, les tanneurs, les menuisiers, les vanniers et les fabricants de parfums et de remèdes sont labiles et malaisément interprétables. L’objectif, double, touche à l’identification des vestiges de la production artisanale pour en préciser les formes et l’organisation, et à l’évolution de la vie économique de Pompéi. Les recherches ont porté ces dernières années en particulier sur l’étude des activités artisanales tels que la poterie, la métallurgie, la peinture, la taille de la pierre et le travail de l’os et de l’ivoire.

 

Perspectives

Dans tous ces cas, les recherches de la Mission ont été progressivement confrontées à la question des formes et des limites des agglomérations, ainsi qu’à l’organisation et au fonctionnement des espaces périurbains. Les fouilles de l’Incoronata posent la question du rôle d’un établissement mixte dans la formation de la polis de Métaponte au VIIe siècle. Le changement des formes d’habitation et d’occupation de l’espace à Arpi et à Pompéi au contact des cultures grecques, samnites et romaines, entre le VIe et le IIe av. J.-C., nous place au cœur de cette nouvelle problématique sur la définition des milieux urbains et de leurs limites. Nous nous sommes rendus compte que la périphérie était le thermomètre de la santé de la cité : lorsque la cité est prospère, elle a tendance à s’étendre au-delà des remparts, sur des zones traditionnellement dévolues aux morts et elle construit alors des édifices pour les vivants. Lorsque la cité décline, on assiste au phénomène inverse que nous avons bien montré à Cumes où, après le milieu du IIIe siècle de J.-C., la zone périurbaine décline puis devient une carrière. Notre problématique s’inspire des évolutions urbanistiques contemporaines et elle est novatrice car, pour des raisons d’opportunité et d’intérêt porté aux monuments publics, les archéologues du XXe siècle ont surtout dégagé le centre des villes ; la périphérie située au-delà des remparts reste donc méconnue bien qu’on y trouve des sanctuaires, des nécropoles, des ateliers artisanaux, des installations maritimes, des édifices de spectacle, des champs de manœuvre, des carrières et des habitats d’exploitants agricoles. Cumes, Arpi, Incoronata et Pompéi offrent l’opportunité d’étudier l’interaction entre les zones urbaines et périurbaines, car elles n’ont pas été réoccupées par la suite. Ailleurs en Europe, les villes que les Grecs et les Romains ont fondées sont le plus souvent encore occupées, ce qui rend leurs vestiges peu accessibles pour des études extensives. On les entrevoit à l’occasion de travaux de construction, mais rarement dans toute leur ampleur. À la différence de l’Afrique du Nord, peu de villes antiques importantes ont été abandonnées. C’est ce qui fait l’intérêt de Pompéi ensevelie par le Vésuve, de Cumes abandonnée depuis le XIIIe siècle et d’Arpi devenue une zone agricole. Ainsi combinant les recherches sur ces sites, il sera loisible de comparer, pour une même région, l’Italie du Sud, la « photographie » de la situation de Pompéi en l’année 79 avec le « film » de l’évolution de celle de Cumes et d’Arpi durant les millénaires de vie de ces cités.

 

La Mission archéologique « Italie du Sud » répond à de nombreuses missions : étude de l’histoire antique de l’Italie du Sud, fouilles de sauvetage, mise en valeur du patrimoine bâti, partage des connaissances (publications, films, expositions…). Elle participe à la formation, sur le terrain (fouilles, prospections pédestres et géophysiques, études en laboratoire), d’étudiants français et italiens dans le cadre de convention avec leurs institutions d’appartenance. Elle brasse dans ses équipes de jeunes chercheurs venus de divers pays de la communauté européenne qui apprennent à travailler ensemble. Chaque année environ 70 chercheurs, français et italiens, sont impliqués dans les recherches de la Mission archéologique.

 

Priscilla Munzi, directrice-adjointe du Centre Jean Bérard (USR 3133, CNRS-EFR), Chargée de recherche CNRS priscilla.munzi@cnrs.fr

Pour en savoir plus sur la Mission via le site https://centrejeanberard.cnrs.fr/ :

 

Légendes des illustrations : 

  • Fig. 1. La Mission archéologique « Italie du Sud ».
  • Fig. 2. Vue du site de Cumes (Cliché E. Botte, CNRS/CCJ).
  • Fig. 3. Cumes. Orthophotographie de la nécropole de la Porte médiane (Réal. R. Catuogno, DiStar UniNa, M. Facchini, MLab UniNa, M. Giglio, UniOr).
  • Fig. 4. Cumes. L’équipe sur le terrain (Archives CJB, CNRS-EFR).
  • Fig. 5. Le site d’Arpi aujourd’hui (Cliché M. Leone, CNRS/CJB).
  • Fig. 6. Arpi (FG). L’aire de « Montarozzi » au 1:5000 (Orthophoto Regione Puglia 2015 ; données SABAP Foggia ; réélab. A. Terribile, UniSa).
  • Fig. 7. Plan du site d’Arpi avec le positionnement des grands travaux et des ensembles de tombes (Réal. L. Fornaciari, DISPAC – UniSa, avec la collaboration de V. Soldani, SABAP Foggia).
  • Fig. 8. Arpi. L’équipe sur le terrain (Archives CJB, CNRS-EFR).
  • Fig. 9. Vue du site de l’Incoronata (Archives UMR 6566, Laboratoire LAHM, Univ. Rennes 2).
  • Fig. 10. Incoronata, Planimétrie du Secteur 1 (Archives UMR 6566, Laboratoire LAHM, Univ. Rennes 2).
  • Fig. 11. Incoronata. Secteur 1 : a. Secteur Sud : fouille des structures du IXe-VIIIe siècle av. J.-C. ; b. Secteur Est : fouille de la zone des petits fours (VIIe s. av. J.-C.) ; c. Olla avec décoration « a tenda » ; d. Vue zénithale de l’édifice absidé (VIIe s. av. J .-C.) ; e. Tête féminine en bronze (milieu VIIe s. av. J .-C.) (Archives UMR 6566, Laboratoire LAHM, Univ. Rennes 2).
  • Fig. 12. Vue du site de Pompéi (Archives CJB, CNRS-EFR).
  • Fig. 13. Pompéi. L’équipe sur le terrain (Archives CJB, CNRS-EFR).