Fouilles archéologiques Mission archéologique de Thâj (Arabie saoudite)

Situé dans la province orientale de l’Arabie saoudite, à 90 km à l’est du port d’al-Jubayl, Thāj est de loin le plus grand site archéologique préislamique connu dans l’est de la péninsule arabique.

 

Situé au croisement d’importants itinéraires caravaniers transarabiques, et à proximité immédiate des routes de cabotage du Golfe, Thāj fut une plate-forme commerciale majeure et sans doute un centre politique de premier plan à partir de la haute époque « hellénistique » (fin du IVe s. av. J.-C.) et probablement jusqu’au IIIe ou au IVe siècle ap. J.-C. On a proposé d’y reconnaître l’antique Gerrha, richissime cité caravanière d’Arabie orientale mentionnée par plusieurs géographes grecs et romains, mais cette identification reste débattue.

Le site se compose d’une grande ville fortifiée couvrant environ 40 ha, d’un vaste faubourg d’une quinzaine d’hectares au sud-est et d’une vaste nécropole périphérique comprenant au moins 1000 tertres funéraires, d’un diamètre allant jusqu’à 60 m.

Connu depuis le début du XXe siècle, il n’avait fait cependant fait l’objet, jusqu’en 2016, que d’explorations et de fouilles limitées.

 

Créée en 2016 sous le triple pilotage du CNRS, de l’Université de Leyde (Pays-Bas) et de la Saudi Commission for Tourism and National Heritage (SCTH), la mission archéologique de Thāj constitue le premier programme d’étude à grande échelle de ce site majeur. Elle est codirigée par Ibrahim al-Mshabi (SCTH) et Jérôme Rohmer (CNRS). Soutenue par la commission des fouilles du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le CEFAS, elle bénéficie en outre de partenariats avec Éveha International et l’Institut des Déserts et des Steppes, ainsi que du mécénat de l’entreprise Satorp, filiale des groupes Total et Aramco. Ses quatre premières campagnes de terrain, de 2016 à 2019, ont déjà permis des avancées majeures dans la compréhension du site et de son environnement.

Menée en collaboration avec le programme MEDEE, l’étude géo-archéologique du site et de sa région a permis de mieux cerner les conditions environnementales du développement de la ville antique : les nombreux puits maçonnés qui entourent le site puisent dans une nappe karstique pérenne, alimentée à la fois par la drainance ascendante d’aquifères anciens et par les pluies annuelles. Des carottages effectués en 2018 dans la sabkha sont en cours d’analyse et devraient permettre de restituer plus précisément le paléo-environnement du site et ses variations dans l’histoire.
À l’échelle du site, une campagne photogrammétrique et des prospections géomagnétiques, menées en collaboration avec l’Institut de Physique du Globe de Strasbourg, ont permis de cartographier une partie significative de la dernière strate de la ville avec un degré de précision remarquable. Sur ces bases, plusieurs zones de fouilles ont pu être implantées dans la zone urbaine.

 

Dans la partie sud de la ville fortifiée, les fouilles de plusieurs îlots d’habitation (zones 6 et 11) ont ainsi mis au jour des niveaux allant du IVe/IIIe siècle av. J.-C. au IIIe/IVe siècle ap. J.-C. La fouille d’une porte monumentale dans le rempart sud (zone 2) a quant à elle révélé une séquence couvrant près d’un millénaire, de l’époque « hellénistique » (IVe/IIIe s. av. J.-C.) à l’orée de l’islam (VIIe s. ap. J.-C.). Après une phase d’occupation antérieure au rempart, on y observe la construction d’un impressionnant système défensif composé de deux puissantes tours en projection encadrant l’accès à la ville. Durant sa longue histoire, ce système sera plusieurs fois remanié et renforcé, portant l’épaisseur totale du rempart à près de 10 m – ce qui en fait, de loin, la fortification en pierre la plus imposante de la péninsule.

Malheureusement, la partie centrale de la ville fortifiée reste inaccessible, du fait de la présence du village moderne de Thāj. Dans le tiers nord de la ville fortifiée, sous l’actuelle palmeraie, les prospections géophysiques n’ont révélé aucune trace de construction antique, et les quelques sondages qui ont pu y être ouverts (zones 9-10) n’ont mis au jour que des murets et des sols agricoles : il pourrait s’agir d’une zone de jardins intra muros.
Dans les faubourgs de la ville, les fouilles témoignent d’une expansion hors les murs précoce, et permettent de documenter les variations fonctionnelles des espaces au cours de l’histoire du site. Dans le faubourg sud-est (zone 1), un grand bâtiment monumental fut construit dès le IVe ou le IIIe siècle av. J.-C. ; se succèdent ensuite, de la fin du Ier au IVe siècle. ap. J.-C., plusieurs phases d’ateliers de potiers. Au nord-est, les fouilles du grand tumulus connu sous le nom de Tall al-Zāyir (zone 8) ont permis d’observer la transformation d’une ancienne zone artisanale, abritant un atelier de potier des IVe/IIIe siècle av. J.-C., en nécropole aristocratique à partir du Ier ou du IIe siècle ap. J.-C.

 

 

 

 

Dans la nécropole, enfin, les prospections terrestres témoignent également d’une véritable explosion démographique dès le début de l’époque hellénistique, comme en témoignent les trouvailles fréquentes de céramique hellénistique à vernis noir à la surface des tertres. La fouille de plusieurs de ces tertres funéraires (zones 3, 7, 14 et 15) a révélé, sous une certaine diversité d’aspect, une profonde unité de conception, ainsi qu’une certaine permanence des rites funéraires – certains de ces monuments ayant été occupés, réutilisés et réaménagés sur plusieurs siècles.

 

Parallèlement aux fouilles, plusieurs études spécialisées – portant notamment sur le matériel céramique, les macro-restes végétaux, la faune, les os humains et les inscriptions – sont en cours, et devraient aboutir à de premières synthèses thématiques en 2021.

 

Dans le cadre du nouveau programme de fouille, qui doit débuter en 2021, les travaux de la mission s’articuleront autour de trois grands axes. En premier lieu, il s’agira de compléter notre compréhension de la ville antique, notamment en ciblant les infrastructures du grand commerce caravanier (fouille de l’un des grands bâtiments à cour centrale visibles dans le faubourg sud-est, dont le plan évoque des caravansérails) et en étendant les fouilles dans la partie centrale de la ville fortifiée, jusqu’ici inaccessible. En second lieu, la mission élargira son champ chronologique en amont (prospection et fouille des nécropoles protohistoriques situées autour du site) et en aval (étude des occupations des siècles précédant l’islam et de l’époque islamique). Enfin, un ambitieux programme de conservation architecturale est prévu, tant dans la ville que dans la nécropole, afin de préserver les vestiges fouillés et de les mettre en valeur en vue de l’ouverture du site aux visiteurs.

 

Jérôme Rohmer

chargé de recherche au CNRS (UMR 8167, Orient & Méditerranée)
jerome.rohmer@cnrs.fr

 

 

Liens

Légendes des illustrations

  • Fig. 1 : carte de l’Arabie antique et de ses routes commerciales, montrant la localisation de Thāj (fond de carte : H. David/UMR 8167).
  • Fig. 2 : Image satellite légendée du site (J. Rohmer ; image Bing Maps).
  • Fig. 3 : Plan du dernier état de la ville antique (tiers sud de la ville fortifiée et faubourg sud-est) d’après la prospection géomagnétique et l’imagerie aérienne (©Mission archéologique de Thāj, J. Rohmer).
  • Fig. 4 : Vue de la porte sud-est en cours de fouille (©Mission archéologique de Thāj).
  • Fig. 5 : Vue générale de la zone 1, dans le faubourg sud-est, à la fin de la campagne 2017 (©Mission archéologique de Thāj).
  • Fig. 6 : Le tumulus 71 (zone 7), implanté sur une ancienne carrière de calcaire, après fouille (©Mission archéologique de Thāj).
  • Fig. 7 : bols locaux et importés issus de la fouille du tumulus 163/zone 14 (©Mission archéologique de Thāj).