Séances Séance du 25 mai 2018

– Note d’information de M. Benoît Gain, professeur émérite de l’Université de Grenoble, sous le patronage de Jean-Pierre MAHÉ : « Le recensement des traductions françaises des Pères de l’Église par le frère Marcotte : de l’outil manuel à la banque de données » .

Résumé : On se propose une brève présentation d’un instrument de recherches, œuvre du patient labeur d’un bénédictin (1983-2015), que le conférencier a secondé depuis 2001. Après un mot sur la genèse de l’entreprise, sont précisés les limites chronologiques, les auteurs dépouillés (grecs, latins, orientaux ; textes bibliques apocryphes), la nature des textes et celle des traductions françaises (complètes, extraits, issues de la tradition indirecte), leur ancienneté (depuis le XVIe s.), l’identité parfois incertaine des traducteurs. L’heuristique des traductions est souvent rendue malaisée par les changements d’attribution d’œuvres antiques survenus depuis un siècle. On donnera un aperçu des immenses dépouillements réalisés par le Fr. Marcotte, puis des essais de diffusion des résultats obtenus avant la constitution, par les Editions Brepols, d’une base de données interrogeable d’après les noms d’auteurs, les éléments du titre français mais aussi en latin, pour conclure sur les services obtenus ainsi par les chercheurs : découverte d’extraits traduits, malgré les aléas de la transmission à différentes étapes ; rapprochements de textes ; enrichissement des commentaires ; apports de la « réception » des œuvres, étude de thèmes ; mais aussi histoire des traductions d’œuvres majeures, voire matériaux pour l’histoire de la langue française.

Mots clés : Pères de l’Église – traductions – apocryphes bibliques – genres littéraires – titres d’œuvres.

Abstract : We propose a brief presentation on an instrument of research that is the result of the patient labor, from 1983 -2015, of a Benedictine monk whom the lecturer assisted form 2001. A few words about the birth of the enterprise are followed by a description of its chronological scope, the listed writers (Greek, Latin, Eastern, intertestament writings and the Christian Apocrypha), the nature of the texts and that of their French translations (complete translations, excerpts, and translations via the indirect tradition), their age (extending back to the 16th century), and the sometimes uncertain identity of the translators. The heuristics of translation have proved difficult due to the changes in attribution of ancient writings that have taken place over the last century. One will find here a glimpse of the extent of Br. Marcotte’s work : his combing-through of countless books, periodicals and instrumenta studiorum, the obstacles faced in disseminating his results, before the setting up, by Brepols Publishers, of a database that can be searched by author and key words of titles in French and Latin. The presentation concludes with a description of what is available to users of the database. These include translations of excerpts that take into account the uncertainties of stepwise transmission, comparisons of texts, commentaries that enrich the material, contributions from the “reception” of the writings, study themes, materials that elucidate the history of translations of the main works, and even items that cast light on the history of the French language.

Keywords  : Church Fathers – Translations – Apocrypha – Literary genres – Titles of works.

– Note d’information de Mme Françoise Wang-Toutain, directeur de recherche au CNRS, sous le patronage de M. Jean-Noël ROBERT : « L’empereur mandchou Qianlong et le bouddhisme ».

Résumé : Mes récentes recherches sur le décor de la tombe de Qianlong (r. 1736-1796) ont mis en évidence l’importance du bouddhisme tibétain dans la conception de ce programme ornemental. Elles ont donc suscité une réflexion plus approfondie sur les liens de l’empereur avec cette religion. Qianlong est présenté par l’historiographie chinoise comme fortement sinisé et donc guidé par les principes du confucianisme. De ce fait, son patronage du bouddhisme tibétain fut longtemps expliqué par une stratégie politique envers les Mongols. Par l’étude de sources tibétaines et chinoises, j’ai montré que les chapelles de culte tibétain étaient nombreuses à la Cité interdite mais également dans les Palais d’été, et que le bouddhisme tibétain jouait un rôle majeur dans les cérémonies funéraires impériales. On peut donc affirmer que même si le bouddhisme tibétain eut un rôle politique lors de l’établissement du pouvoir mandchou, il n’en formait pas moins la base de la pratique religieuse de la famille impériale. Cette recherche a également montré que le patronage de Qianlong envers le bouddhisme tibétain ne pouvait être pleinement compris qu’en se penchant sur l’intérêt de cet empereur pour la tradition bouddhique chinoise. Cet intérêt n’était pas un simple passe-temps. Qianlong était véritablement féru de philosophie bouddhique chinoise. De plus, le lien très étroit établi entre les empereurs mandchous et le bodhisattva Manjusri qui est souvent associé uniquement au bouddhisme tibétain doit être resitué dans un contexte plus large, celui d’une tradition bouddhique chinoise remontant au VIIe siècle. Pour conclure, sans remettre en question l’importance de la pensée néo-confucéenne et de la culture chinoise à la cour mandchoue du XVIIIe siècle, il me semble capital de reconnaître que le bouddhisme était la base de la pratique religieuse impériale mandchoue. La croyance en la puissance rituelle de la tradition tibétaine s’accompagnait d’un intérêt personnel des souverains pour la philosophie et l’esthétisme des traditions bouddhiques chinoises.

Abstract : My recent researches on the decor of the tomb of Qianlong (r. 1736-1796) have highlighted the importance of Tibetan Buddhism in the design of this ornemental program. They have lead to a deeper reflexion on the ties between the Emperor and this religion. Qianlong is presented by the Chinese historiography as strongly sinicized and thus guided by principles of Confucianism. As a consequence, his patronage of Tibetan Buddhism was for a long time perceived as a political strategy towards the Mongols. With the study of Tibetan and Chinese sources, I showed that Tibetan cult chapels were numerous in the Forbidden City as well as in the summer palaces and that Tibetan Buddhism played a major role in the imperial funeral ceremonies. We can therefore claim that even if Tibetan buddhism had a political role during the establishment of the Manchu power, it was also the base of the religious practices of the Imperial family. These researches also showed that the patronage of Qianlong towards Tibetan buddhism could only be fully understood by looking into the interest of this emperor for Chinese Buddhist tradition. This interest was not a simple hobbie. Qianlong was truly expert in Chinese Buddhist philosophy. Besides, the strong relationship between the Manchu emperors and the bodhisattva Manjusri that is often only associated with Tibetan Buddhism should be put back in the context of a Chinese Buddhism tradition dating back to the 7th century. To conclude, without challenging the importance of the neo-confucianism thinking and the Chinese culture in the Manchu court of the 18th century, it appears capital to understand that the base of the imperial religious practice was Buddhism. The faith in the powerful efficience of Tibetan rituals was accompanied with a personal interest of the emperors in the philosophy and aesthetic of Chinese Buddhist traditions.

– Communication de M. Claude Rilly, chargé de recherche 1re classe au CNRS, directeur de la Mission archéologique française de Sedeinga (Nubie soudanaise), lauréat du prix Jean et Marie-Françoise Leclant 2017 de l’AIBL,sous le patronage de M. Nicolas GRIMAL : « Reine d’Égypte, déesse de Nubie. Le destin du temple de Tiyi à Sedeinga (Soudan) ».

Résumé : Sedeinga est situé dans le Nord du Soudan, à 250 km au sud de la frontière égyptienne. Le site fut choisi par le pharaon Amenhotep III pour bâtir un temple dédié à sa grande épouse royale, la reine Tiyi. Ce sanctuaire était le pendant féminin du grand temple qu’il construisit à Soleb, 14 km au sud. Au début du VIIe siècle av. J.-C., le pharaon koushite Taharqo en orna l’entrée d’une salle à colonnes. Sedeinga, appelé en méroïque Atiye, de l’égyptien Ḥw.t Tjy « temple de Tiyi », devint alors la métropole de la région. Plus tard, à l’époque napatéenne (VIe / Ve s. av. J.-C.), le temple s’effondra à cause de ses fondations trop peu profondes. Des fragments de l’édifice furent alors réutilisés dans la nécropole toute proche, mais les ruines du temple, avec leurs colonnes hathoriques, continuèrent à faire l’objet de vénération comme la demeure d’une déesse, considérée comme une forme d’Isis, puisque la reine égyptienne avait disparu des mémoires. Le culte d’Isis, probablement rendu dans un nouveau temple, a joué un rôle important à Sedeinga, comme en témoignent de nombreuses mentions de ses prêtres dans les textes funéraires méroïtiques locaux. Au début de l’époque chrétienne (VIe s.), le temple devint une carrière de pierre pour l’église en construction à proximité. Bientôt, il fut réduit à un monceau de blocs dominé par une unique colonne encore debout. Comme la mission archéologique, fondée en 1963, concentra ses travaux sur la nécropole napato-méroïtique, les ruines du temple ne furent quasiment pas touchées durant 50 ans. Ce n’est qu’en 2014 que la conjonction de trois facteurs décisifs y rendit les fouilles possibles : la construction d’une route goudronnée, le parrainage généreux de l’Autorité des Musées du Qatar et la participation à ce projet de l’équipe égyptologique de Paris IV-Sorbonne (UMR 8157).

Abstract : Sedeinga lies in northern Sudan, 250 km south of the Egyptian border. The site was chosen by Pharaoh Amenhotep III to build a temple dedicated to his great royal wife, Queen Tiyi. This shrine was the female counterpart of the great temple he built in Soleb, 14 km south, for his own divine image and for Amun. In early 7th century BC, the Kushite Pharaoh Taharqo erected a columned hall in front of the temple. Sedeinga, called in Meroitic Atiye, from Egyptian Ḥw.t Tjy “temple of Tiyi”, became at this time the most important city in the region. Later on, in Napatan times (6th/ 5th cent. BC), the temple collapsed, because of its shallow foundations in soft ground. Many parts of it were reused in the close Napatan necropolis, but the ruins of the temple, with their Hathoric columns, were still revered as the abode of a goddess, a form of Isis, since the memory of the Egyptian queen had faded. The cult of Isis, probably performed in a new temple whose remains still have to be discovered, played an important role in Sedeinga, as evidenced by numerous mentions of its priests in the local Meroitic funerary texts. In early Christian times (6th cent. AD), the temple became a stone quarry for the church under construction in the vicinity. Soon, it was reduced to a heap of blocks towered by a single standing column. As the archaeological mission, founded in 1963, focused its work on the Napatan-Meroitic necropolis, the ruins of the temple remained nearly untapped for 50 years. Only in 2014, the combination of three key factors made their excavations possible: the building of a tarmac road, the generous sponsoring of the Qatar Museum Authority and the participation of the Paris IV-Sorbonne Egyptological team (UMR 8157) in this project.