L’Académie Documents historiques

Registres de Procès-verbaux (1694-1793)

À la faveur d’un partenariat avec l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes (IRHT), l’Académie a diligenté, l’an dernier, la numérisation de l’ensemble des procès-verbaux qu’elle conserve de ses séances sous l’Ancien Régime (années 1694-1793, avec une lacune entre 1742 et 1749, période durant laquelle les registres ne furent pas tenus), soit un total, considérable, de pas moins de 21 470 pages. Ce travail a été remarquablement accompli par les soins diligents de M. Gilles Kagan, chargé de numérisation au service Images-Pôle numérique de l’IRHT. L’indexation de ces registres résulte du travail accompli précédemment par M. François Fossier, professeur émérite des Universités, qui a transcrit ces registres jusqu’en 1740. On pourra consulter ce très riche ensemble de documents, enrichi dans les premières années de splendides dessins préparatoires de médailles conçues à l’Académie pour célébrer notamment les hauts faits du règne de Louis XIV, sur le site de la Bibliothèque virtuelle des Manuscrits médiévaux (BVMM) de l’IRHT

LA SALLE D’ASSEMBLÉE DE L’ACADÉMIE ROYALE DES INSCRIPTIONS ET BELLES LETTRES AU LOUVRE D’APRÈS UN DESSIN DE GABRIEL DE SAINT-AUBIN DATÉ DE 1773

Par Jean-Pierre BABELON, Membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres

La bibliothèque de l’Institut de France, par les soins de son conservateur, Madame Mireille Pastoureau, a pu se rendre acquéreur en vente publique d’un précieux dessin de Gabriel de Saint-Aubin, pierre noire sur papier blanc, portant le titre de la main de l’auteur « 1773 Académie des inscriptions et belles lettres », et au verso, de la même main « Académie des inscriptions et belles lettres /G. de St aubin delineavit 1773 » et plus bas, d’une autre main : /trouvé à paris en 1833/ [1].

 

 

 

 

 

Gabriel de Saint-aubin

La carrière et l’activité de Gabriel-Jacques de Saint-Aubin nous sont bien connus grâce aux travaux de l’historien d’art Emile Dacier qui lui a consacré plusieurs ouvrages [2].

 

Né et mort à Paris (14 avril 1724 – 9 février 1780), Gabriel de Saint-Aubin appartenait à une famille d’artistes très actifs durant le règne de Louis XV, formée de son père et de ses trois frères. L’un de ses frères aînés, Charles Germain de Saint-Aubin (1721-1786), fut dessinateur en broderies et graveur. Élève de Jaurat et de Collin de Vermont, Gabriel tenta une carrière académique de peintre, mais il échoua trois fois au Concours de l’École de Rome. Il fut cependant élu à l’Académie de Saint-Luc en 1774. On connaît de lui plusieurs tableaux de genre, comme La Parade du Boulevard (1760. Londres, National Gallery) [3], mais il s’adonna avec passion à l’art de la gravure à l’eau-forte : Vue de la foire de Bezons (1750), Le Marché du bœuf gras (1750), Le Salon de 1753 au LouvreLe Spectacle des Tuileries. On connaît de lui une cinquantaine de pièces, sans compter les nombreuses vignettes où il excellait.

 

Mais son talent de graveur est bientôt éclipsé par son activité de dessinateur, au crayon ou à la gouache, qui veut rendre « les faits de la vie courante ou d’une scène de théâtre » [4]. Il se promène dans Paris en badaud, carnet à la main, et prend des croquis rapides de tout ce qu’il voit, monuments, collections, cafés, spectacles, cérémonies, fêtes diverses, scènes de la vie populaire. « Il dessine en tout temps et en tout lieu… les passants dans la rue… » écrit Dacier [5]. Son plus célèbre dessin est celui qui nous montre le Couronnement de Voltaire au Théâtre Français en 1778 (conservé au Musée du Louvre). Citons encore la Vue du Salon de 1765Une Fête à Saint-Cloud (1772), Trait de bienfaisance de la Reine (1773), L’Incendie de l’Hôtel-Dieu (1774), Le Roi posant la première pierre de l’Amphithéâtre de chirurgie (1774), Conférence de l’ordre des avocats (1776), La naumachie des jardins de Monceau (1778), la Vue du Salon de 1779 au Louvre, la Visite de Christian VII de Danemark à l’Ecole de l’ArchitectureEntrée de l’Académie d’Architecture au Louvre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’artiste était également passionné par le marché des œuvres d’art, comme nous l’observons notamment par deux petits catalogues de vente conservés à la Bibliothèque de l’Institut [6], dont je dois le signalement à Mme Mireille Pastoureau, que je remercie. Ce sont les catalogues des peintures et œuvres d’art appartenant à de grands collectionneurs comme le duc de Saint-Aignan, vendues à Paris les 17 juin 1776 et 16 novembre 1778. Ils portent en marge des notices imprimées de petits dessins au crayon représentant les œuvres décrites. Or ces dessins sont de la main de Saint-Aubin, comme nous l’apprend à la fin de l’un de ces catalogues, celui de 1776, l’inscription manuscrite : « Gabriel de Saint-Aubin, Peintre, de l’Académie de St Luc, dessinoit sur ses catalogues les tableaux à mesure qu’on les exposait en vente, une bonne partie de ces curieux catalogues est entre les mains du baron de Saint-Jullien ». La manière de dessiner de l’artiste est en effet bien reconnaissable.

 

 

 

L’Académie des Inscriptions logée au palais du Louvre

Notre dessin représente donc une salle du palais du Louvre. Il nous faut d’abord rappeler les principales étapes de la fondation de la « Petite Académie » et de la désignation de ses lieux de travail. [7] À l’origine petit conseil d’experts réuni à son domicile privé par Colbert à partir de 1663, puis par Louvois en 1683, elle changea de statut en 1701 par la volonté du chancelier de Pont chartrain, et fut pourvue d’un règlement royal instituant « L’Académie des Inscriptions et Médailles » daté du 16 juillet 1701. Elle comptait dès lors quarante membres et ses séances ordinaires devaient se tenir au palais du Louvre le mardi et le vendredi de chaque semaine, dans la salle déjà occupée par l’Académie française. C’était un effet de la reconnaissance royale de cette réunion de savants.

 

On se rendit rapidement compte que la coexistence avec l’Académie française dans une même salle était malcommode, et elle devint même impossible. D’une part, le nombre des membres, la tenue de séances publiques, la présence à certaines occasions de membres de l’Académie des Sciences, l’académie sœur (qui siégeait depuis 1699 dans une salle de l’ancien appartement du roi, au premier étage), imposaient de disposer d’une salle plus vaste, mieux conditionnée, et différente de celle de l’Académie française, et d’autre part les nouvelles tâches érudites confiées à l’Académie rendaient nécessaire l’usage de dégagements, où l’on pourrait conserver les livres, les manuscrits, les antiques.

Les premières séances eurent donc lieu dans les locaux de l’Académie française, qui occupait le rez-de-chaussée du palais, dans l’aile dite Lemercier, construite par l’architecte de ce nom à la suite du pavillon de l’Horloge, et ouvrant à l’est vers la Cour Carrée promise au quadruplement dans le cadre du « grand dessein » imaginé par le roi Henri IV pour le développement du Louvre.

 

La première assemblée publique eut lieu le 15 novembre 1701, mais des travaux furent aussitôt entrepris, très probablement par les soins de l’architecte Jules Hardouin-Mansart, avant la fin de l’année, pour approprier à cet usage la première antichambre, voisine de la cage de l’escalier Henri IV.

 

 

Le cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale conserve deux précieux plans de l’aménagement des deux académies dans ces locaux [8], que nous avons reproduits et analysés dans notre article du Journal des Savants de 1964, et qui vont nous aider à identifier l’espace dessiné par Saint-Aubin.

Le premier de ces plans représente l’ensemble du rez-de-chaussée de l’aile Lemercier, et il est titré Académies Française, et Inscriptions.

Il est orienté avec le nord en haut de page. L’arrière du rez-de-chaussée de l’escalier Henri IV abrite, selon Blondel, le Logement des Suisses pour la garde intérieure du Louvre. En poursuivant, du sud au nord, nous trouvons : le « Passage particulier pour l’AC » (en bas de l’escalier Henri IV). « Cabinet pour les papiers, ou Archives de l’Académie » (d’après Blondel), avec un petit escalier pour monter à la tribune. On lit ensuite : « Salle d’assemblée de Mrs de l’Académie des Inscriptions. A, avec les dimensions, 36 pieds sur 47 pieds ». Une note en bas : « A. Salle qui ne servait que de passage en 1701/ pour aller à l’Académie française et à celle / des Inscriptions qui était cette année encore / dans le même lieu. V. la lettre de (biffé) a M. Mansard / en date du 30 nov. 1701 ». Nous lisons ensuite : « Antichambre / pour les 2 Academies ». Cette grande antichambre disposait d’une porte sur la Cour carrée, comprise dans un avant-corps [9] à colonnes. On trouve ensuite la « Salle /d’assemblée de Mrs/ de l’Acad. Française, diminuée au fond, côté ouest, de la Salle (biffé) Cabinet pour les Registres/ et papiers ». On trouve enfin, dans le Pavillon de Beauvais, une salle terminée à l’est en rotonde qui abritait, selon Blondel, le dépôt pour les antiques appartenant à cette académie (celle des Inscriptions).

 

 

Le second plan nous présente la « Disposition de la salle d’Assemblée de l’académie des inscriptions / lorsqu’elle fait sa rentrée publique ». Ce plan est orienté avec l’est en haut de page. Il faut donc lui faire opérer un quart de tour pour qu’il corresponde au plan précédent. Dans cette salle de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres (marquée « A » au plan précédent), sont figurées à l’est les ouvertures des deux grandes baies ouvrant sur la Cour Carrée, et à l’ouest la trace d’une porte obturée ; au nord, à droite, la porte d’accès vers la grande antichambre, et à gauche une porte obturée ; au sud apparaît une autre porte obturée à droite, et à gauche une étroite porte d’entrée, en venant de l’escalier Henri IV et du cabinet des livres logé sous la tribune.

Les précieuses indications qui viennent légender ce plan avec des numéros pour préciser les sièges et les tables qui dessinent des carrés concentriques sont données en bas de page :

 

 

1. « Siège à bras pour Monsieur le Président de l’Académie ».

2. « Sièges simples ou sans bras pour les honoraires ».

3. « Table du Président et honoraire ».

4. « Rangs de sièges simples pour les Académies. Au nombre de 10 de/ chaque côté ».

5. « Tables des Membres de l’Académie ». Viennent ensuite quatre lignes biffées, puis

6. « Bancs de Tapisseries ou membres de l’Académie. Des sciences se mettent/ ordinairement ».

7. « Bancs occupés par les personnes de distinction que l’on place / par l’ordre de l’Académie ».

8. Espace où le public est admis pour assister à l’assemblée/ de la Rentrée publique ».

 

 

C’est donc tout un protocole des séances qui nous est ainsi défini. Rappelons que, depuis le règlement rédigé par l’abbé Bignon en 1701, les académiciens étaient au nombre de quarante, dix honoraires, dix pensionnaires et vingt associés, sans compter les vétérans et les honoraires étrangers. Les conférences avaient lieu le mardi et le vendredi pendant deux heures l’après-midi. Deux assemblées publiques étaient prévues, l’une le premier jour après la Saint-Martin (11 novembre), et l’autre le premier jour de l’Octave de Pâques. Pour « engager à l’assiduité de ces deux conférences », le Roi faisait distribuer à chaque séance quarante jetons d’argent aux académiciens présents.

 

Les dispositions du rez-de-chaussée de l’aile Lemercier ont changé depuis lors, du fait des travaux menés par Percier et Fontaine pour l’aménagement du Muséum Central des Arts. On lit ainsi dans le Journal de Pierre-François Léonard Fontaine [10], à la date du 28 février 1808 : « L’Empereur, ayant ensuite discuté sur la distribution intérieure du Louvre, paraît avoir définitivement adopté les subdivisions ci-après… L’aile du Pavillon de l’Horloge, l’ancien Louvre, aura la chapelle au centre, une galerie de Physique au-dessus de la salle de l’Institut et des pièces de garde-meuble pour les bijoux de la couronne au-dessus de l’ancienne salle de l’Académie française. Le rez-de-chaussée du côté du midi fera partie du musée de sculpture, et le rez-de-chaussée du côté du nord servira au dépôt des médailles et autres curiosités historiques ».

 

Ces travaux ont abouti, comme on le voit déjà sur un plan de Percier et Fontaine [11], à agrandir la salle centrale de l’aile en réduisant à deux travées l’ancienne salle de l’Académie des Inscriptions (avec destruction de la tribune du public) par déplacement d’un mur porteur. Si l’on compare les dispositions actuelles des salles du musée dévolues au département des Antiquités Orientales avec le plan ancien, on remarque ainsi qu’après la salle 1, de deux travées, on pénètre dans la salle 2, de trois travées (l’une reprise sur l’Académie des Inscriptions, les deux autres étant celles de la grande antichambre), puis dans la salle 3, de deux travées (la salle de l’Académie française, augmentée de son annexe à l’ouest). Fort heureusement, les architectes ont respecté, ou recopié, les grands arcs doubleaux en anse de panier qui scandent les travées, ornés de petites rosaces insérées dans des médaillons carrés (« de cassettes et de roses » comme dit Blondel), que l’on voit déjà très distinctement et en détail sur un dessin de l’architecte constructeur, Jacques Lemercier : Élévation et coupes de la salle basse de l’aile neuve, daté d’avril 1639 [12]. Il convient d’autre part de signaler un autre dessin de Gabriel de Saint-Aubin, représentant l’arrière de l’aile Lemercier, son côté occidental, où l’on voit des baraquements occupant l’ancien fossé comblé en jardin, derrière les murs des académies [13].

 

La séance de 1773 dessinée par Saint-Aubin

Il convient maintenant d’étudier les procès-verbaux des séances de l’Académie pour déterminer celle qui a été représentée en 1773 par Saint-Aubin. Les anciens registres annuels, de format in-folio, ont été soigneusement conservés par notre académie [14]. Celui de 1773 [15] indique au 8 janvier la nomination par le Roi du président de l’Académie pour l’année : Louis-Joseph Mancini Mazarini, duc de Nivernais, écrivain, membre de l’Académie française (1716-1798). La nomination du nouveau secrétaire perpétuel est entérinée le même jour pour succéder à Charles Le Beau, professeur au Collège de France (chaire d’éloquence latine), secrétaire perpétuel depuis 1755. C’est l’abbé Louis Dupuy (1709-1795), bibliothécaire du prince de Soubise et éditeur du Journal des Savants, spécialiste de la littérature grecque, membre de l’académie depuis 1756, qui lui succède et qui occupera le poste jusqu’en 1783. Enfin, le même jour, le grand sculpteur Augustin Pajou est nommé dessinateur de l’Académie.

 

Les séances ont donc lieu deux fois par semaine. On peut noter principalement, le 16 février, un rapport de MM. de l’Académie des Sciences ; le mardi 20 avril, la séance publique comportant l’éloge des deux académiciens décédés l’année précédente, Charles Marie Fevret de Fontette et Armand Jérôme Bignon ; le 8 juin, l’élection du géographe J.P. Bourguignon d’Anville, ancien associé ; le 18 juin, la définition d’une médaille commémorant le mariage du Comte d’Artois ; le 13 juillet, la présence à la séance de membres de l’Académie des Sciences [16], et le 28 août, la messe de la Saint-Louis chez les pères de l’Oratoire. On compte environ vingt-quatre membres présents aux séances.

 

À l’examen du calendrier, il paraît vraisemblable que la séance représentée par Saint-Aubin soit la Séance publique du mardi 20 avril 1773. Dès lors, nous pouvons tenter une identification critique des dispositions de la salle telle qu’elle apparaît sur le dessin, en nous souvenant que Blondel qualifiait cette salle de « la plus ornée de celles qui se voyent au Louvre ». Les travaux de décoration commencèrent dès 1702 et mobilisèrent d’importantes dépenses scrupuleusement consignées par Félibien et l’abbé Bignon dans les deux registres 1702-1715 des dépenses de l’Académie [17]. Dès 1702 commencèrent donc la commande de lambris de menuiserie, et des garnitures des fenêtres, de tapisseries fleurdelisées pour garnir les murs, de rideaux de « petite Venise » pour les croisées, de moquette pour garnir les chaises et les banquettes (et même une chaise percée), de serge verte de Saint-Leu pour les tables, ainsi que d’une table incrustée de marbre d’Égypte à pans coupés sur pieds de menuiserie (5 pieds sur 3). Viennent encore un tapis de Turquie qui était déployé pour la Fête de la Saint-Martin, et les travaux de sculpture et dorure sur bois pour les boiseries et les cadres des tableaux, confiées au sculpteur Jules Du Goulon.

 

L’artiste a pris son crayon derrière l’assistance venue pour la séance publique, il est arrivé par la grande antichambre donnant sur la Cour carrée et regarde vers le mur sud où l’on distingue bien la tribune défendue par un appui de bois, et vitrée de petits carreaux à châssis ouvrants. Destinée au public, et surmontant la salle, elle était accessible par le passage bas de l’escalier Henri IV et par un petit escalier, mitoyen de la réserve des livres et archives. On y trouvait huit sophas garnis de moquette comme les chaises.

 

Saint-Aubin est le dos au mur nord, et à sa gauche s’ouvre la porte de l’antichambre par laquelle il est entré en venant de la Cour Carrée. Nous savons, par les descriptions anciennes, que l’on voyait à sa droite et à sa gauche des bustes en marbre blanc d’Apollon et de Minerve par Girardon, et en partie supérieure, au-dessus de lui, les portraits du duc de Bourgogne et du duc de Berry peints par Antoine Coypel, sous une peinture en trompe-l’œil du peintre Le Petit simulant la tribune sud. Au milieu était accrochée une grande toile de Coypel représentant « Minerve qui découvre la Vérité », que nous connaissons par une gravure de Desplaces [18].

 

Nous voyons donc en face de nous le mur sud de la salle. Dans l’arcade en anse de panier, on distingue bien la tribune où s’agitent quelques assistants. On reconnaît très distinctement au centre un grand tableau d’Antoine Coypel représentant la muse Clio écrivant l’histoire du grand règne sur un livre appuyé au dos d’un vieillard barbu qui est le Temps, tandis que Mercure plane dans les cieux avec deux chérubins pour lui apporter le portrait ovale de Louis XIV (peinture de Hyacinthe Rigaud). L’œuvre est bien connue, car elle a été gravée par Simonneau pour servir de frontispice au Recueil sur les principaux événements…, éditions de 1702 et 1723, ainsi qu’à l’Histoire de l’Académie royale… Avec les Mémoires de Littérature, tirez de Registres de cette Académie, tome Iᵉʳ, 1717, et réimpression en 1736.

 

On devine à droite un portrait peint du Grand Dauphin et à gauche un portrait peint du roi Philippe V d’Espagne, tous deux par Antoine Coypel, ainsi que les bustes de Mercure et de Melpomène, en marbre blanc, par Girardon, dont les piédestaux, également de marbre blanc, étaient ornés d’« une chute de trophée en bronze doré » d’après Blondel. L’histoire de ces cinq bustes commandés à Girardon en 1705, (il y avait aussi un buste du roi) fut longue et difficile, Girardon malade ayant dû en confier l’exécution, sous sa direction, à son assistant Masson. La livraison tarda et ne fut que difficilement acquittée après la mort de Girardon survenue en 1715 [19].

 

Sur la paroi occidentale, à droite, on aperçoit bien un tableau ovale de Coypel représentant « Minerve qui prend soin de l’éducation de Louis XV », que nous connaissons par une gravure de Drevet fils. C’est, bien entendu, une addition au décor originel du temps de Louis XIV qui comportait en cet endroit, aux dires de Blondel et du registre des dépenses (1707), un bas-relief monumental du sculpteur Sébastien Slodtz où l’on voyait un grand Christ de bois peint en faux marbre, une Madeleine agenouillée à ses pieds et, dans le lointain, la ville de Jérusalem, dans un vaste cadre en bois doré orné de nuages et de chérubins. De chaque côté, on distingue deux tableaux de Coypel figurant Mercure et Apollon, et au centre, sous le grand ovale, la pendule centrale indispensable à la bonne tenue des séances, œuvre de l’horloger Baradelle, dans une boite et sur une console sculptées par l’ébéniste Claude Dufour et par la veuve Picard, et munie par un miroitier d’une glace ronde.

 

La disposition de la salle des séances de l’Académie française, vers 1690, est bien connue par la gravure de F. Delamonce d’après N. de Poilly qui représente la « Réception d’un Académicien ». Ici, les membres de l’Académie sont assis sur des sièges à bras autour d’une longue table unique, les assistants restant debout derrière. À l’Académie des Inscriptions, on sait au contraire que les académiciens ont pris place sur les sièges en quadrilatère disposés derrière de longues tables. À notre droite, face aux deux baies ouvrant sur la Cour Carrée et diffusant une abondante lumière, on devrait voir siéger le président (le duc de Nivernais) assis sur un siège à bras, ainsi que le secrétaire perpétuel, l’abbé Louis Dupuy, entouré par les honoraires sur des sièges sans bras. Les académiciens se répartissent par dix, sur les quatre côtés. Derrière, sont assis les membres de l’Académie des Sciences et les personnes de distinction. Enfin, on trouve en arrière, dans l’espace public, et debout, les personnes admises aux séances. C’est la foule que nous distinguons au premier plan du dessin. Saint-Aubin lui-même ne serait-il pas le personnage que l’on voit à l’extrême droite ?

 

Nous connaissons une autre composition assez analogue de Saint-Aubin représentant la Conférence de l’ordre des avocats en 1776 [20]. Cette conférence se tenait dans la bibliothèque des avocats, logée au troisième étage du palais de l’Archevêché, dans l’île de la Cité. C’est la même prise de vue d’une assemblée délibérante. Ainsi se trouve affirmée, une fois encore, la sensibilité du reporter avide de saisir un instantané par son habile crayon.

 

Il nous faut signaler enfin que d’autres artistes ont représenté des séances de sociétés savantes au XVIIIe siècle, ainsi le peintre Jean-Baptiste Martin, auteur d’un tableau représentant Une assemblée ordinaire de l’Académie royale de peinture et de sculpture au Louvre vers 1717-1718, où l’on peut observer, là aussi, le détail des tableaux et des sculptures ornant les murs de la salle de cette académie [21].

 

Le dessin nouvellement acquis par la Bibliothèque de l’Institut est donc bien un témoignage totalement inédit sur une séance publique de l’Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres, une représentation qui préfigure l’arrivée de la photographie qui nous conserve aujourd’hui la mémoire de nos assemblées.