Fouilles archéologiques Programme « Christianisation et occupation territoriale du sud de la Palestine à l’époque protobyzantine »

Depuis 2016, les recherches pluridisciplinaires menées dans le cadre de la mission archéologique franco-palestinienne sur le site du Chêne de Mambré / Haram Ramet al-Khalil sont dirigées par M. Vincent Michel, sous l’égide du laboratoire HeRMA de l’Université de Poitiers, sous le patronage scientifique de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (EBAF) et en partenariat avec le ministère palestinien du Tourisme et des Antiquités (MOTA). Le projet bénéficie du soutien et du financement de la commission des fouilles du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), du consulat général de France à Jérusalem et de l’association Terres d’Orient.

 

Le site du Chêne de Mambré (fig. 1) est l’un des principaux sites d’Hébron et du Sud de la Palestine. Selon la tradition biblique, c’est à Mambré qu’Abraham établit son campement près d’un chêne et qu’il y reçut la visite de trois mystérieux visiteurs, envoyés par Dieu (Gen.13:18, 18:21, 23:19). Ainsi, une enceinte sacrée marqua traditionnellement l’emplacement du campement, un temple y fut édifié et dans l’angle sud-ouest fut creusé un large puits, que la tradition retint comme le « puits d’Abraham ». Selon les premiers textes antiques, ce site de pèlerinage fut transformé sous l’empereur Hadrien en un vaste marché où se vendaient esclaves et chevaux. La tradition hagiographique chrétienne, à partir du IVe siècle, rapporte que le temple païen fut remplacé par une basilique qu’on considère comme l’une des quatre églises dites « constantiniennes » mentionnées par Eusèbe de Césarée. Le site est évoqué dans d’autres sources majeures (Pèlerin de Bordeaux, Saint Jérôme, Égérie…) et apparaît sur la mosaïque de l’église Saint Georges à Madaba (Jordanie) datée du VIe siècle. Mambré est donc une référence culturelle et religieuse de premier ordre en Palestine.

 

 

 

Un projet archéologique

C’est l’archéologue allemand A. E. Mader qui, le premier, entreprit des fouilles sur le Chêne de Mambré lors de plusieurs campagnes entre 1926 et 1928 pour le compte du German Görresgesellschaft. À sa suite, l’archéologue israélien Y. Magen, menant quelques sondages entre 1984 et 1986 pour le département des Antiquités d’Israël, compléta partiellement l’histoire du complexe. Cinq périodes d’occupation depuis l’époque de l’âge du Fer jusqu’aux Mamelouks ont été identifiées, dont trois principales : tout d’abord l’époque romaine avec la construction d’une enceinte quadrangulaire « sacrée » (65 x 49 m) attribuée par les chercheurs au roi Hérode après l’avoir comparé avec une maçonnerie similaire visible dans le tombeau des Patriarches à Hébron et l’ancien mur d’enceinte du temple de Jérusalem ; puis l’époque byzantine sous l’empereur Constantin, avec un complexe ecclésiastique dans la partie orientale de l’enceinte, et enfin l’époque médiévale, dernière occupation aux temps des Croisades. Cette interprétation, rapidement brossée, perdura sans être jamais remise en question, jusqu’aux résultats obtenus par la mission franco-palestinienne durant le premier quadriennal (2016-2019).

Le site archéologique est constitué de deux secteurs : le premier à l’ouest (3500 m2), correspond à l’enceinte monumentale et aux vestiges associés, dont un complexe ecclésiastique chrétien ; le second, situé à l’est, est composé d’une parcelle de terrain (6300 m2) divisée en deux terrasses et d’un bâtiment ottoman (fig. 2).

 

Le programme de la mission archéologique franco-palestinienne du site de Mambré comporte plusieurs objectifs :

* L’étude du site circonscrit dans l’enceinte monumentale par la réalisation de trois campagnes de sondages à l’intérieur et à l’extérieur de l’enceinte, dans les secteurs épargnés par les fouilles anciennes. L’objectif était de préciser la chronologie des principales phases de construction de l’enceinte et du complexe ecclésiastique. De plus, un relevé photogrammétrique complet, l’étude du bâti et des techniques de taille, de la céramique et du verre, complétés par plusieurs datations C14, ont apporté des éléments importants pour la reconstitution des phases de construction de l’enclos monumental et de ses aménagements intérieurs. Une nouvelle chronologie relative des vestiges (complexe ecclésiastique, puits, pavements, etc.) a ainsi pu être avancée. L’étude pluridisciplinaire a livré des résultats fondamentaux remettant en question l’histoire du site telle qu’elle était comprise jusqu’à présent. En effet, la datation de l’enceinte a été décalée de près de trois siècles par rapport à la chronologie établie par les précédents archéologues, la plaçant dorénavant à l’époque protobyzantine, période précédée d’une occupation dense de bâtiments dont la fonction reste à préciser. Une nouvelle datation des vestiges situés à l’intérieur oriental de l’enclos a donc été proposée plaçant le monument chrétien encore partiellement visible à l’époque des Croisés du royaume franc de Jérusalem.

Mais où se trouve donc la basilique « faite sur l’ordre de Constantin », que le Pèlerin de Bordeaux décrit vers 333 comme « d’une admirable beauté » ?

 

 

* À l’extérieur de l’enceinte, la parcelle orientale est restée inexplorée jusqu’en 2014, date de quelques sondages menés par le département d’archéologie de l’Université d’Hébron. Depuis 2018, la mission archéologique française a étendu ses recherches à cette parcelle afin de comprendre le contexte historique de l’ensemble du site. Les premiers travaux ont permis de mettre au jour des bâtiments aux sols mosaïqués datant de la période protobyzantine, ainsi que des vestiges datés de l’époque médiévale (fig. 3). Les prochaines missions devraient permettre de définir les fonctions de ces édifices, indépendants ou complémentaires du téménos, et de mettre au jour d’autres vestiges archéologiques majeurs permettant de mieux comprendre le site.

 

Un projet de recherche : Christianisation et occupation territoriale du Sud de la Palestine à l’époque protobyzantine

La mission franco-palestinienne a permis la relecture archéologique et textuelle d’un site majeur de Palestine après 90 ans d’abandon depuis les premières fouilles (1926-1928). Le site de Mambré est étudié sur le temps long : en partant du choix de ce lieu comme emplacement d’un événement biblique, puis sa paganisation par le pouvoir romain soucieux de gommer toutes références juives ou judéo-chrétiennes et d’installer une foire païenne, intervient l’existence d’un mystérieux autel païen sur le site, vénéré par tous, païens, juifs et chrétiens, et enfin l’établissement d’un important lieu chrétien sur la route des pèlerinages ; à l’époque arabe son devenir est incertain et il renait comme lieu de la chrétienté à l’époque des Croisades. À partir de ce site, il s’agit donc de rouvrir le dossier de la christianisation du Sud de la Palestine, un domaine incomplètement traité, en particulier autour d’Hébron. La mission du Chêne de Mambré, en collaboration avec celle du monastère de ʿAin el-Maʿmoudiyeh fouillé par Bertrand Riba et celle du site de Tell Qilah fouillé par Sylvie Blétry-Forestier, permet de questionner les notions de sacralité de l’espace, privé ou public, à l’échelle d’une collectivité, d’une cité et d’une région non seulement sur des critères physiques, mais aussi symboliques, de la construction des identités religieuses, et plus particulièrement du christianisme (dispositifs spatiaux du culte et pratiques rituelles, architecture, aménagement liturgique, décor…).

Un projet de valorisation

* La conservation et la valorisation du site de Mambré par l’aménagement d’un parc archéologique dans le cadre d’un projet de développement touristique de la ville d’Hébron par le MOTA intitulé « la Porte d’Hébron » à l’heure où la Palestine redécouvre son patrimoine. Cela comprend plusieurs aspects : travail de restauration et de mise en valeur des vestiges archéologiques, une réflexion sur l’aménagement du site et sur un centre d’interprétation dans un bâtiment d’époque ottomane.

* En parallèle des recherches scientifiques, la mission a pour objectif la formation pratique d’étudiants français et palestiniens : topographie et technique de relevé, archéologie et stratigraphie, étude de la céramique, archéométrie et photogrammétrie… (fig. 4).

* C’est aussi un projet social et éducatif au service de la population pour se réapproprier leur histoire par la médiation du patrimoine dans une région en conflit. En plus de journées portes ouvertes, la mission participe, en collaboration avec des associations locales, à la formation de guides-conférenciers, à des ateliers de sensibilisation et à des visites scolaires pour les jeunes (fig. 5).

* Enfin, la mission organise plusieurs conférences au sein du Département des Antiquités à Hébron et une journée d’étude annuelle à l’Université de Poitiers en collaboration avec les autres missions archéologiques françaises de Samarie (dir. Jean-Sylvain Caillou) et de ‘Ain el-Ma’moudiyeh (dir. Bertrand Riba) et de l’Ifpo-Jérusalem.

 

Le site archéologique de Mambré/Haram Ramet al-Khalil a une signification historique et religieuse importante. Il représente un potentiel tant scientifique que touristique (notamment pour les pèlerins) et patrimonial, un outil pour le développement socio-économique de la région et de la sensibilisation de la population à leur histoire. Les recherches archéologiques menées ces dernières années ont largement confirmé la richesse du site tout en démontrant la nécessité de recherches pluridisciplinaires. Les prochaines campagnes du quadriennal 2020-2023 se focaliseront sur les fouilles archéologiques dans la parcelle orientale et sur la publication des études du complexe de l’enceinte. En parallèle, les travaux de restauration et de valorisation de l’ensemble du site seront mis en œuvre.

 

 

 

Le site archéologique de Mambré/Haram Ramet al-Khalil a une signification historique et religieuse importante. Il représente un potentiel tant scientifique que touristique (notamment pour les pèlerins) et patrimonial, un outil pour le développement socio-économique de la région et de la sensibilisation de la population à leur histoire. Les recherches archéologiques menées ces dernières années ont largement confirmé la richesse du site tout en démontrant la nécessité de recherches pluridisciplinaires. Les prochaines campagnes du quadriennal 2020-2023 se focaliseront sur les fouilles archéologiques dans la parcelle orientale et sur la publication des études du complexe de l’enceinte. En parallèle, les travaux de restauration et de valorisation de l’ensemble du site seront mis en œuvre.

 

Vincent Michel

Professeur d’archéologie de l’Antiquité classique d’Orient à l’Université de Poitiers (HeRMA) vincent.michel@univ-poitiers.fr

 

Partenariats

* Ministère palestinien du Tourisme et des Antiquités (MOTA)
* Commission des fouilles, ministère de l’Europe et des Affaires étrangères
* Laboratoire HeRMA (Hellénisation et Romanisation dans le Monde Antique, EA 3811), Université de Poitiers,
* UMR Orient et Méditerranée, UMR 8167 (Labex Resmed)
* Consulat général de France à Jérusalem
* Institut national de Recherches archéologiques préventives (Inrap)
* École biblique et archéologique française de Jérusalem (Ebaf)
* Terres d’Orient
* Colam Initiatives

 

Liens complémentaires

 

Pour en savoir plus

  • A. E. Made, Mambre, Die Ergenisse der Ausgrabungen im heiligen Bezirk, Ramat el-Halil in Süd-Palästina, Freiburg Im Breisgau, 1957.
  • Y. Magen, « Mamre », New Encyclopedia of Archaeological Excavations in the Holy Land, Jérusalem, 1993, vol. 1, p. 939 942.
  • Id., « Mamre. A Cultic Site from the Reign of Herod », in One Land, Many Cultures, 2003, Jérusalem, Franciscan Printing Press, p. 245-257.

 

Légendes des illustrations

  •  Fig. 1 – Vue générale du site du Chêne de Mambré (Sandrine Bert Geith)
  • Fig. 2 – Plan général du site de Mambré (Vincent Pasquet et Vincent Miailhe, Inrap)
  • Fig. 3 – Orthophotographie de la zone extérieure Est, campagne 2019 (Vincent Pasquet, Inrap)
  • Fig. 4 – Formation au relevé dessin (Sandrine Bert Geith)
  • Fig. 5 – Atelier de sensibilisation pour le public scolaire (Vincent Michel)